Le ministre de l’Ecologie, Nicolas Hulot, a décidé de réintroduire à l’automne deux ourses slovènes dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Son argument : il ne reste plus que deux mâles dans ce département et si l’on veut que l’espèce prospère, il faut donc introduire des femelles. Trente-neuf plantigrades
vivent dans le massif mais essentiellement dans les Pyrénées centrales. La mesure a été accueillie avec joie par les citadins-écolos mais avec fureur par les éleveurs qui, eux, vivent au contact de la montagne.
Ces derniers multiplient les réunions dans les vallées et ont réactivé un collectif d’associations contre la présence du plantigrade. Pour Jean-Pierre Pommiès, un berger transhumant de la vallée d’Ossau, c’est « l’une des plus belles agricultures de France qui est menacée ». « A lui seul, notre département pèse pour la moitié du cheptel des Pyrénées, soit 300 000 des 600 000 brebis », plaide-t-il. Ses menaces sont à peine voilées : « Je vous garantis que les ourses ne sont pas encore là. On va nous pousser à basculer dans l’illégalité pour protéger nos troupeaux. »

689 moutons tués dans l’Ariège

L’éleveur cite les dégâts causés par le plantigrade sur le reste du massif. En Ariège, le département le plus touché, on a relevé 689 animaux morts l’an dernier contre 228 en 2016 – notamment en raison de chutes d’ovins fuyant le prédateur. Lors de son congrès, le 29 mars dernier, la FNSEA, a réaffirmé être opposée à la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées : « Il faut choisir entre les prédateurs et les éleveurs », a déclaré sa présidente Christiane Lambert. Le ministre a annoncé qu’il se rendrait sur les lieux avant l’introduction des ourses. Le dossier « ours » – comme le dossier « loup » d’ailleurs – est un dossier éminemment sensible. Pour une raison simple : les éleveurs de moutons sont directement exposés à la prédation de ces animaux. Contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, au Canada et dans de très nombreux pays de l’Europe de l’est où les ours vivent dans une nature pratiquement vierge de toute activité humaine, les Pyrénées sont aussi le pays des moutons. Dans les Pyrénées-Atlantiques, par exemple, le fromage de brebis de label Ossau-Iraty a acquis une réputation nationale. On compte 660 000 ovins sur la chaîne des Pyrénées dont 80 000 pour le département des Pyrénées-Atlantiques. Comment ne pas comprendre l’angoisse des éleveurs d’autant que l’idée du ministre, c’est de lâcher deux femelles pour multiplier la population rapidement ?

Une espèce en pleine forme en Europe

Contrairement à ce que l’opinion pense, l’ours brun est une espèce en pleine forme en Europe. Le problème n’est pas de les réintroduire mais d’en éliminer une partie. L’an dernier, Gratiela Gavrilescu, ministre roumaine de l’Environnement, a autorisé l’abattage ou le déplacement de 140 ours et de 97 loups. Motif : la recrudescence de problèmes que causent ces animaux dans les campagnes mais aussi en ville.

Celle qui l’avait précédée à ce poste voulait éliminer 552 ours, 657 loups et 482 lynx. Sous la pression des lobbies animaliers, elle avait dû renoncer à son projet mais Gratiela Gavrilescu, elle, a tenu bon. Il est vrai qu’elle avait des arguments : une dizaine de personnes attaquées par des ours dont deux bergers sévèrement blessés. Un ours avait même dû être abattu à Sibiu, en pleine ville. On fait passer l’ours brun pour une espèce en danger alors qu’il s’agit d’une espèce en plein développement. Idem d’ailleurs pour l’ours noir dont les Canadiens peinent à limiter les effectifs. Selon les chiffres communiqués par la Commission européenne, le nombre des ours bruns en Europe est passé de 15 800 en 2005 à 17 000 en 2012, soit une augmentation de 7 % en 7 ans dans l’UE. Pourquoi vouloir infliger leur présence à un département où le pastoralisme assure l’essentiel de l’activité économique ? Pourquoi vouloir embraser la montagne ? Était-il vraiment si urgent d’aller chercher deux ourses slovènes pour les lâcher au pays du fromage ?

L’ours brun des Pyrénées a disparu

On aura compris que l’affaire est largement politique. Ségolène Royale avait refusé, en juillet 2014, de nouvelles réintroductions pour protéger le pastoralisme. Le ministre de la Transition écologique et solidaire a sans doute éprouvé le besoin de donner des gages à ses troupes. Après s’être fait taper sur les doigts notamment pour ses prises de position anti-chasse à courre, il espère retrouver une crédibilité. L’affaire toutefois n’est pas gagnée et cela pas seulement à cause de la contre-offensive que vont mener les organisations agricoles. Il ne suffit pas en effet de lâcher deux ourses pour dynamiser un petit noyau d’animaux (deux mâles seulement…). Personne ne sait si ces plantigrades d’origine slovène s’habitueront à leur nouvel environnement. Les translocations passées n’ont pas permis de sauver les populations d’ours des Pyrénées. La petite population relictuelle d’une dizaine d’ours qui subsistait encore dans le massif dans les années 1990 s’est éteinte. Aujourd’hui s’il y a des ours dans les Pyrénées, Il n’y a plus d’ours DES Pyrénées, seulement des ours originaires de Slovaquie et leur descendance, à l’exception d’un hybride né en 2004 mais qui ne semble pas s’être reproduit. « Croire que deux populations de la même espèce sont identiques et interchangeables est une erreur. Les ours qui vivent aujourd’hui dans les Pyrénées forment une population qui n’est en rien issue de la population autochtone initiale. Elle est aussi artificielle que celle de parcs zoologiques », note l’écologiste Jean-François Dumas. Et il ajoute : « Tant que l’acceptation des populations locales fera défaut, les réintroductions seront vouées à l’échec et il arrivera à cette nouvelle population ce qui est arrivé à la population originelle : elle disparaîtra ». Une réflexion qu’aurait peut-être pu prendre en considération le ministre avant de se lancer dans un improbable combat.

Eric Joly