« Je suis très vite entré dans une démarche d’agriculture de conservation, après m’être installé en 2 000 sur une exploitation de grandes cultures. Nous sommes ici sur des sols limoneux et cela me faisait mal de gratter la terre pour que les plantules de betteraves puissent lever. J’ai donc arrêté de labourer », explique l’agriculteur qui livre ses betteraves à la sucrerie de Connantre (groupe Tereos).

C’est donc une démarche agronomique qui a fait entrer Jean-François Delaitre dans la méthanisation. « Après m’être lancé dans le non-labour, il manquait la fertilisation organique pour améliorer la fertilité des sols. Or, le digestat est particulièrement bénéfique pour les plantes ». L’agriculteur a d’abord étudié la méthanisation pour l’électricité, mais il ne pouvait pas valoriser la chaleur. Il s’est donc seulement lancé en 2012, quand l’injection du méthane dans le réseau est devenue possible. « À cette époque, mon exploitation agricole avait une bonne santé financière. On avait la vie facile, les phytosanitaires étaient acceptés et les rendements réguliers. Je recherchais un challenge et le monde politique local poussait les projets de méthanisation ».

Investissement de 5 M€

Le dossier est bouclé en seulement deux ans : 3 millions d’investissement avec 50 000 € de subvention de l’Ademe. « J’ai investi 100 000 € avec un voisin, le reste a été emprunté. Le retour sur investissement est calculé sur 10 ans ».

Une de ses motivations est de bénéficier d’un prix garanti du gaz pour que l’exploitation ne dépende plus uniquement des marchés financiers. Mais « faire tourner un méthaniseur, c’est un nouveau métier, ce n’est pas une diversification », met en garde Jean-François Delaitre. « Il faut apprendre et acquérir des connaissances. L’association peut vous y aider », ajoute celui qui a été élu président de l’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF) en novembre dernier.

En août 2014, l’unité O’Terres Energies, créée avec un voisin agriculteur, injectait ses premiers kilowattheures dans le réseau de gaz naturel de GRDF. « Le méthaniseur était adapté à mon exploitation et à celle de mon voisin. Il produisait 140 Nm3/h de biométhane, mais il avait des problèmes de maintenance. Il fallait soit le simplifier, soit réinvestir. J’ai choisi de réinvestir 2 M€ en 2017 et d’embaucher trois personnes pour dégager du temps ».

Si les voisins n’ont pas dit grand-chose en 2014, trois ans plus tard, l’agrandissement a été plus compliqué. « C’est la réalité de la méthanisation aujourd’hui. Il y a toujours des opposants », regrette Jean-François Delaitre.

Cive

Le méthaniseur a donc changé de dimension. Très agricole en 2014, il avale aujourd’hui plus de 20 000 tonnes de produits par an : des résidus de culture, des déchets de l’industrie agroalimentaire, des pulpes de betteraves et seulement un tiers de Cive (cultures intermédiaires à vocation énergétique). « La pulpe est intéressante chez moi, car c’est un produit déjà râpé et je souhaite avoir un retour de mes matières organiques sur mon sol ».

Les Cive sont très diversifiées : maïs, avoine, tournesol, sorgho, sigle, triticale… Mais ces cultures remettent en cause le système d’exploitation. « Entre faire un beau mélange fin octobre et un couvert récoltable, conservable et qui donne de l’énergie, ce n’est pas du tout le même sujet », explique l’agriculteur. « On a connu de très belles années en Cive. Mais c’est comme pour l’élevage : quand vous ne récoltez rien, il faut trouver des alternatives.

Ce qui fonctionne le mieux ici, c’est le maïs. Mais demain il y aura sans doute des associations de cultures plus extensives ». Comme pour la betterave (52 t/ha à 16°s en non irrigué), le développement des Cive a souffert de la sécheresse en 2020.

Rouler au gaz

L’unité produit désormais 320 Nm3/h de biométhane ou 30 GWh/an d’énergie. Le gaz est filtré sur place par un épurateur, puis injecté dans le réseau GRDF pour alimenter la consommation de l’équivalent de 5 100 foyers. Le chiffre d’affaires généré par la vente de gaz est de plus de 2 M€. Les principales charges sont constituées par les amortissements, l’alimentation, le poste d’injection et tous les travaux connexes.

Dans l’avenir, Jean-François Delaitre espère rouler au gaz. « J’ai le projet de monter une station-service ». L’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France espère d’ailleurs lancer 100 stations à la ferme d’ici 2024.

A voir en video : Trois Conseils pour réussir la méthanisation agricole.