Les nouvelles technologies ouvrent des pistes prometteuses. Les idées fusent. Mais il reste à les confronter à la réalité économique de la betterave pour ne pas alourdir les coûts de production, mais plutôt réaliser des économies ou apporter de réels gains de productivité. Vincent Gobillard, betteravier à Courtisols, dans la Marne et Vincent Marcille, à Heilly dans la Somme, testent sur leurs exploitations la modulation de la densité de semis. C’est désormais possible en associant les données de la cartographie et la technologie d’un semoir électrique. Ce matériel de pointe a été prêté dans le cadre d’une enquête réalisée par le semencier Deleplanque et le fabricant de semoirs Monosem. Ces deux sociétés ont élaboré… un protocole de semis avec l’ITB et Precifield, qui a réalisé la cartographie d’une partie de leur parcelle. Les données issues de la cartographie, portant sur la topographie, la texture et la teneur en matière organique ont été intégrées au semoir pour moduler la dose de semis en fonction du potentiel du sol. Matthieu Meens et Maxime Allart, de l’ITB Champagne-Yonne, contrôleront la couverture du sol en utilisant un drône et feront des prélèvements à la récolte pour mesurer l’impact sur le rendement.
Moduler la dose sur des sols hétérogènes Chez Vincent Gobillard, une même parcelle peut compter 3 à 4 types de sol différents, avec notamment une butte de craie et un “fond” coloré qui se réchauffe vite. « Réaliser un semis homogène avec des zones plus ou moins riches, froides, humides, pentues, est très compliqué, constate Vincent Gobillard. Certaines zones méritent de recevoir plus de semences que d’autres et dans les zones pentues, mon semoir a tendance à s’enfoncer, enfouissant les graines plus bas que prévu. La levée n’est pas homogène, ni en quantité, ni en temps de levée, et qui dit semis hétérogène dit perte de rendement. La meilleure stratégie pour moi est de trouver le moyen de moduler les densités de semis à l’intérieur d’une même parcelle. »

La société Monosem a mis à disposition un semoir Meca V4 à distribution mécanique et entraînement électrique. « Le logiciel lit la carte élaborée par Précifield et commande les moteurs électriques du semoir. Tout est automatique, les moteurs tournent plus ou moins vite selon la densité de semis à appliquer. C’est la première fois que cette fonction est testée pour la betterave », explique Floriant Crochet, responsable de la promotion des ventes chez Monosem. Betteravier dans la Somme, Vincent Marcille a également des parcelles en pente très hétérogènes. « Normalement, je sème 125 000 pieds/ha et je fais de bons rendements avec des petites betteraves. Cette année, avec la société Précifield, nous avons opté pour une moyenne de 112 800 pieds : 125 000 dans les zones difficiles et 110 000 dans les limons argileux afin d’avoir une bonne couverture par les feuilles et réduire le salissement. La modulation permettra de réaliser 10 % d’économie sur les semences. Mais je ne sais pas
si c’est suffisant pour amortir le surcoût de l’option de modulation de dose. »
Floriant Crochet apporte des précisions sur le coût : « Un agriculteur souhaitant faire de la modulation devra investir dans un semoir à entraînement électrique, soit un surcoût de l’ordre de 1000 € à 1500 € par rang, 1000 € si l’agriculteur est déjà équipé dans son tracteur d’un terminal Isobus compatible ».
Quant à la carte de rendement, elle est proposée à un prix entre 75 et 100 €/ha selon les options. « L’investissement peut être rentabilisé entre 2 à 4 ans sur les doses de semis économisées et éventuellement les augmentations de rendement », précise Alexandre Weil, de Precifield. « La cartographie des terres est un investissement qui peut être utilisé sur d’autres cultures ou pour moduler les doses d’engrais et faire des économies sur les apports de phosphore et de potasse par exemple », complète Hugo Crécy, ingénieur agroéquipement à l’ITB.
Semis en quinconce L’autre possibilité est de faire des semis en quinconce. Kverneland avec son semoir mécanique Monopill et la localisation GPS RTK propose de semer en diamant (voir cahier spécial semoirs). L’intérêt est l’utilisation optimale des nutriments par la plante et d’obtenir une meilleure régularité des plantes.
Cette disposition peut permettre de faire des gains en termes de densité de semis de désherbage et une meilleure qualité de récolte, selon Kverneland. De son côté, l’ITB n’a pas observé de gains significatifs de rendement, mais une meilleure qualité de récolte.

Des betteraves semées sous bâche

Afin d’accélérer la levée, certains planteurs testent le semis sous bâche comme Bertrand Dechaumont, agriculteur et entrepreneur de travaux agricoles dans l’Oise. « Je veux observer comment se comportent les betteraves et les adventices. Au final, mon objectif est d’examiner si cette technique apporte un gain de rendement suffisant pour la justifier », explique-t-il. Bertrand Dechaumont sème du maïs sous bâche depuis de nombreuses années. « Ce procédé est rentable, notamment dans les terres blanches, longues à réchauffer », poursuit-il. Producteur de betteraves, avec 25 ha livrés à Saint-Louis Sucre, Bertrand Dechaumont a effectué un petit test de semis sous bâche sur une vingtaine d’ares betteraves en 2017. « J’ai réalisé le semis avec mon semoir à maïs Samco 3 en 1. J’étais vraiment curieux de voir l’évolution des betteraves. Je voulais aussi vérifier si le désherbage allait fonctionner », explique-t-il. Et les résultats sont encourageants. Malgré un semis à 70 cm interrang (comme le maïs), le planteur obtient un rendement de 87 t/ha.

« Avec une betterave à 25 €, il faudrait faire 14 tonnes en plus pour payer le surcoût du semis sous bâche.»

Cette année, Bertrand Dechaumont renouvelle l’essai, mais cette fois-ci sur un hectare. L’ITB va comparer des modalités des betteraves bâchées et non bâchées. « C’est une idée que nous n’avons jamais testée. Du reste, je n’ai pas connaissance d’essais sur ce thème ailleurs. Nous sommes incapables pour le moment de tirer des conclusions.
L’expérimentation nous permettra de savoir si elle doit être affinée ou non », prévient Philippe Delefosse, le délégué ITB de l’Oise.

Film biodégradable

Bertrand Dechaumont y croit. Il a fait adapter son semoir à maïs par Samco à 50 cm d’inter-rang. Le semoir est équipé de deux cuves de pulvérisation pour les désherbants et d’un distributeur de granulés molluscides. « Le semoir 3 en 1 de Samco, fabricant irlandais, sème, applique un herbicide de prélevée et pose une fine couche de
film biodégradable sur le sol en un seul passage », développe Maxime Rigault, l’interlocuteur Samco. La mini-serre permet de protéger les plants des conditions météorologiques difficiles (gelées tardives), mais aussi d’augmenter considérablement la température du sol et de l’air ambiant. Samco produit ses propres films perforés oxodégradables (dégradation par la lumière et la chaleur) et biodégradables pour ses semoirs. Bertrand Dechaumont regrette les conditions météo de cette année qui n’ont pas permis une implantation précoce. En effet, plus les semis sont précoces, plus l’intérêt du bâchage pourrait être élevé. Aussi le 26 mars, il a lancé l’essai dans un sol tout juste ressuyé. Le semis a démarré après une préparation du sol intégrant l’incorporation de 3 litres d’Avadex. L’intervention comprend l’application de désherbants en prélevée (2 l de Goltix et 2,5 l de Zepplin) ainsi que des granulés anti-limaces, juste avant le déroulage de la bâche. « En gérant l’apport des graines, de l’herbicide et du film en un seul passage, nous limitons les tassements », apprécie le planteur expérimentateur. Pour la pose du film, des disques ouvreurs réglables creusent des sillons dans le sol d’une dizaine de centimètres de profondeur. Une fois les sillons ouverts, l’unité abaissée entièrement entraîne une bêche et enfouit le film en début de
rang. Cette même bêche coupera le film tout en l’enfouissant à la fin du rang. Les roues viennent rouler au fond du sillon et déposent le film qui est aussitôt recouvert grâce aux disques couvreurs. Des déflecteurs galvanisés évitent que les disques couvreurs propulsent de la terre sur le rang de semis. Quant à la décomposition du film, le fabricant garantit plus de 90 % de décomposition en fin de campagne. Bertrand Dechaumont estime que le film commence à se décomposer 4 à 5 semaines après le semis. Beaucoup de points restent à affiner, qu’ils soient techniques ou économiques. Le semis sous bâche pour le maïs avec le système Samco 3 en 1 est actuellement commercialisé 350 € de plus qu’un semis de maïs conventionnel (bâche incluse). Avec des betteraves à 25 €, ce surcoût nécessite un gain de rendement de 14 tonnes pour couvrir les frais… et même 16 tonnes pour des betteraves à 22 €/t ! Tereos et Saint-Louis vont aussi mettre en place quelques essais de semis sous bâche avec ce semoir. Rendez-vous en fin de campagne pour connaître les résultats.

Marie-Pierre Crosnier et François-Xavier Duquenne