Pour les chasseurs, la grande famille des limicoles a fondu au fil des ans. Quantité d’espèces ont sauté dans l’espace protégé : tournepierres, tous les bécasseaux sauf le maubèche, barge à queue noire, courlis cendré. Certaines espèces – barge à queue noire, courlis cendré – font certes l’objet d’un moratoire, mais ce dernier s’éternise. C’est toujours la règle en France : un oiseau classé sur la liste des espèces protégées n’en sort pas, quelle que soit l’évolution des effectifs.

Reste donc ces chevaliers lesquels, comme les trois mousquetaires créés par Alexandre Dumas père, sont comme chacun sait en réalité quatre – d’Artagnan, Athos, Portos et Aramis.

Le chevalier gambette

Appelé « pieds rouges » dans le Sud-Ouest, à cause de ses pattes orangées, c’est une prise fréquente du coureur de grèves. Toujours alerte et frétillant, il parcourt les vasières en plongeant le bec dans l’eau peu profonde à la recherche des vers et des petits coquillages qui font son ordinaire. En s’envolant il pousse un cri aigu sur trois tons, « tiu-tiu-tiu », qui permet de l’identifier à de grandes distances. Ce chevalier peut vivre seul ou en groupes forts d’une dizaine d’individus. Il peut aussi se mélanger à d’autres espèces comme les bécasseaux, les courlis et les barges. Il vient bien aux formes.

Le chevalier aboyeur

Ce n’est pas un limicole de bord de mer mais plutôt un limicole de marais ou de lagunes d’eau douce. Il arrive d’en rencontrer de grandes bandes qui s’envolent dans un concert de cris flûtés et mélodieux. Le nom est trompeur : il n’aboie pas, il siffle. Trois fois. Mais sur un ton un peu plus cristallin que le pieds rouges. C’est un très bel oiseau de couleur grise avec un bec un peu relevé à son extrémité, un peu comme celui de l’avocette mais en moins prononcé, et des pattes d’un vert tendre. C’est un migrateur. Les départs s’échelonnent en deux groupes : les adultes, entre fin juin et début juillet, et les juvéniles dans une période assez longue qui s’étale de juillet à octobre. Ils quittent la Scandinavie, la Russie, la Sibérie et le nord de l’Écosse pour hiverner sur les côtes d’Europe occidentale, de Méditerranée ou d’Afrique. Matin et soir, ce mousquetaire parcourt les eaux peu profondes ou se nourrit sur les rives. Il marche lentement et c’est un carnivore exclusif.

Le chevalier combattant

C’est le plus beau des quatre pour une raison simple : à la saison des amours, en avril-mai, dans la toundra scandinave, le mâle se pare de collerettes chatoyantes et érectiles. Il met un loup coloré sur ses yeux et devient alors un mousquetaire d’opérette. C’est le moment où il va affronter ses congénères. Des combats faits de sauts, d’esquives et de feintes qui font l’admiration des observateurs. Plus de peur que de mal : ce sont surtout des combats d’intimidation, le plus faible se retire et tout est dit. Cet oiseau appartient à la famille des chevaliers mais avec son bec court il ressemble davantage à un grand bécasseau. Passé le temps des amours, le justement nommé « combattant » retrouve sa tenue de tous les jours. C’est un plumage brun très ordinaire et il est impossible alors d’imaginer qu’un oiseau aussi terne puisse se transformer en gravure de mode l’espace de quelques jours. Les chevaliers combattants fréquentent les marais salés et les grèves.

Ils aiment aussi les bords vaseux des marais d’eau douce et hivernent très loin, jusqu’au sud du Sahara.

Le chevalier arlequin

Un esprit non averti pourrait le confondre avec le chevalier gambette. Les deux oiseaux ont pratiquement le même plumage gris. En plumage nuptial, toutefois, il ne peut être confondu avec nul autre : l’oiseau devient d’un noir quasi uniforme ! Il est plus grand et plus élancé que le gambette, avec des pattes plus longues et une tache rouge à la base du bec, qui est également plus long, plus mince et plus incurvé. Les marques faciales sont différentes : chez l’arlequin, un étroit sourcil blanchâtre et un trait sombre entre l’œil et la base du bec. Dans son aire de nidification située dans l’extrême nord de l’Europe, il fréquente la toundra boisée ainsi que les tourbières et les marécages de la taïga. En hiver et au passage, on le trouve dans les marais salants, les estuaires vaseux et les lagunes saumâtres. C’est là qu’il cherche sa nourriture, de l’eau jusqu’au bas-ventre. Il se nourrit principalement de petits mollusques.

Ces beaux chevaliers permettent souvent au sauvaginier qui s’en va à la billebaude d’échapper à la bredouille. En cuisine – car on ne jette pas le gibier – le mieux est sans doute de les préparer en salmis et de déboucher un bon flacon. Ils le valent bien, même si leur élégance est supérieure à leur valeur gastronomique…

ÉRIC JOLY