Malgré la bonne nouvelle du vote à l’Assemblée nationale, le 6 octobre dernier, il reste encore des incertitudes à lever, avant de pouvoir envisager avec sérénité les prochains semis.

De fait, les betteraviers se posent beaucoup de questions. Comment seront-ils indemnisés pour la jaunisse ? Ou bien encore : quelle sera l’articulation avec les pertes dues à la sécheresse pour ceux qui ont souscrit une assurance climatique ?… « Il devient urgent que l’État indique clairement comment sera défini le dispositif d’indemnisation, afin de donner une meilleure visibilité aux betteraviers, dont certains vont être soumis à des difficultés de trésorerie suite aux différentes déconvenues sur les récoltes de l’année », soutient le président de la CGB, Franck Sander.

Le dossier de l’indemnisation va aussi conditionner le niveau des prochains semis, car les premiers arrachages sont très décevants. Selon l’ITB, la baisse du rendement betteravier au niveau national serait de 17 % par rapport à la moyenne quinquennale. L’institut prévoit une moyenne de 72 t/ha à 16°S. Mais certaines régions voient leur rendement dégringoler avec des pertes qui se situent entre – 30 % et – 60 %. Pour les planteurs les plus touchés, en Île-de-France, elles peuvent même atteindre plus de 1 000 €/ha !

Les agriculteurs qui ont souscrit une assurance multirisque climatique (ils sont 30 % dans ce cas) savent à peu près ce qu’ils vont toucher pour la part due à la sécheresse. « Le constat avant récolte est provisoire, car il est ajusté par le taux de sucre définitif transmis par les sucreries », explique la direction agricole de Groupama. L’assureur ajoute : « Concernant la quantification de la perte due à la jaunisse, c’est bien à l’expert, qui est indépendant, de l’apprécier pour chaque dossier. »

Quelle indemnisation pour la jaunisse ?

Le gros point d’incertitude a trait à l’indemnisation de la jaunisse, qui n’est pas prise en compte par les assureurs. Il concerne tout autant les agriculteurs assurés que les non assurés. Tous attendent un signe du ministère de l’Agriculture. Comment seront évaluées les pertes ? Quelle part des pertes seront indemnisées ? Y aura-t-il un dossier à constituer ? Avec quelles pièces ? Quand seront versées les indemnisations ?

Jean-Philippe Garnot, le président de l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS), plaide pour un système « simple, compréhensible et rapide ». Et le planteur de Seine-et-Marne de préciser : « L’agriculteur reçoit le solde du paiement de ses betteraves en mars. On souhaite donc avoir cette indemnisation avant cette date, car nous avons des emprunts et des charges. Au final, la betterave ne doit pas être moins bien traitée qu’une autre culture de printemps, si l’on veut que les planteurs sèment des betteraves l’année prochaine. »

L’autre sujet d’inquiétude est le niveau des indemnités. Dans son annonce du 6 août dernier, le ministre de l’Agriculture expliquait qu’elles s’inscriraient dans le cadre du régime des aides de minimis, c’est-à-dire plafonnées à 20 000 €. Concrètement, les betteraviers ayant une surface supérieure à 20 ha environ et enregistrant de fortes pertes de rendement ne seront pas complètement indemnisés. D’après les calculs de la CGB – avec une hypothèse de 40 % de pertes dues à la jaunisse –, 42 % des planteurs d’Île-de-France et 68 % des surfaces seraient concernés par ce plafonnement des indemnités !

La CGB étudie donc toutes les solutions possibles au régime des aides de minimis, même si celles-ci sont peu nombreuses au regard du cadre réglementaire européen actuel. Créer un nouveau régime notifié européen est complexe et demande une forte volonté politique de la part de l’État, tant au niveau national qu’européen.

Sécheresse et levées tardives

Une autre difficulté est de différencier les pertes dues à la jaunisse, qui ne sont pas couvertes par les assurances récoltes, et celles découlant de la sécheresse. Or, il y a parfois un effet cumulatif. Pour compliquer le tout, des betteraves ayant toujours un feuillage vert pourraient être infectées par des viroses ! Des mauvaises surprises peuvent encore survenir.

La CGB s’est rapprochée des compagnies d’assurances pour tenter de déterminer des protocoles d’expertises les plus fiables possible, en lien avec l’ITB, notamment sur deux critères clés : d’une part, l’estimation du taux d’infestation de la parcelle par la jaunisse ; d’autre part, le taux de perte de rendement en cas de jaunisse. « L’objectif de cette démarche est de veiller à ce que les agriculteurs ayant souscrit une assurance récolte multirisque climatique puissent bénéficier, dans les bonnes conditions, de leur assurance pour couvrir la partie des pertes liée à la sécheresse, notamment en cas de levées tardives ou échelonnées des betteraves en début de campagne. Une fois la quote-part sécheresse définie d’un commun accord entre l’assuré et son expert, les règles habituelles du contrat souscrit s’appliquent », explique Francky Duchateau, économiste à la CGB en charge de ce dossier.

Les calculatrices vont certainement beaucoup chauffer pour optimiser les effets de seuils et les franchises. Une bonne gymnastique mathématique sera nécessaire pour qu’un maximum de pertes puisse être compensé… Et que la betterave conserve sa place dans les exploitations en 2021.

Témoignages

Stéphane Besnard : « Même en bio, on est touché par la jaunisse »

Stéphane Besnard, qui cultive 10 ha de betteraves bio non irriguées à Mespuits (Essonne), a fait 42 t/ha en 2018, puis 46 t/ha en 2019. Mais, cette année, ce sera entre 10 et 20 t/ha.

« J’ai décalé mes semis aux 19 et 20 avril. Je m’étais dit qu’en semant plus tard, j’éviterais les attaques de pucerons, explique-t-il. Je me suis pris une claque, comme mes voisins en agriculture conventionnelle. » La possibilité d’utiliser des néonicotinoïdes l’année prochaine ne le concerne pas directement. « Mais j’ai tout intérêt à ce que mes voisins puissent les utiliser pour que la filière puisse bien se porter. »

Concernant les dégâts dus à la sécheresse, Stéphane Besnard est assuré pour 45 t. « J’ai entendu dire que l’assureur retirait 30 % pour la jaunisse et 25 % de franchise. Si je fais 10 t pour 45 t déclarées, je pourrai peut-être toucher quelque chose. » Concernant les aides de l’État, l’agriculteur bio reste cohérent avec sa démarche : « J’ai pris le risque de faire des betteraves non traitées, je ne demanderai donc pas les aides de minimis. »

Pascal Petitpas : « Les assureurs ne peuvent pas payer pour la virose »

« C’est une catastrophe », déclare Pascal Petitpas, agriculteur livrant à Nangis (55 ha de betteraves non irriguées). Les résultats sont tombés : 32 t/ha à 18°S pour la première parcelle de 16 ha. Ce planteur est inquiet pour le niveau de richesse en sucre, qui baisse très rapidement. « Avec un été aussi sec et aussi chaud, nous aurions dû avoir des richesses de 20°S. » Pascal Petitpas a souscrit une assurance climatique. L’expert a retenu une perte de 30 % liée à la virose, à laquelle il faut ajouter une franchise de 25 % pour la sécheresse. « Or, j’ai un rendement de base déjà amputé par les résultats médiocres des dernières années : 85 t/ha. Je vais peut-être avoir 8 t de compensation pour la sécheresse. J’attends des pouvoirs publics, qui ont pris la décision d’interdire les néonicotinoïdes sous la pression des associations écologistes, de compenser les pertes que nous avons subies. Ce n’est pas aux assureurs de payer pour le virus. On ne peut pas continuer à cultiver de la betterave si la jaunisse hypothèque d’un tiers notre chiffre d’affaires une année sur deux. »

L’indemnisation, un complément à la technique, mais certainement pas un substitut !

Pierre Rayé, directeur général de la CGB

Lors des débats à l’Assemblée nationale concernant l’adoption du projet de loi ouvrant une possibilité d’usage dérogatoire des néonicotinoïdes en betteraves, est revenue à de nombreuses reprises la possibilité d’y substituer un système indemnitaire.

Sans solution technique, le risque jaunisse en France peut être qualifié de catastrophique (plus de la moitié de la récolte perdue pour certains agriculteurs touchés), systémique (40 % des betteraves infectées sur la totalité du territoire), et dont la fréquence est amenée à croître au vu des évolutions climatiques (baisse du nombre de jours de gel hivernaux). Trois paramètres qui rendent inassurable ce risque en l’absence de solution technique.

Financièrement, les montants sont colossaux. 16 % de baisse de rendement a minima en France, c’est une perte nette de revenus de 150 M€ pour les betteraviers et une perte de 350 M€ de chiffre d’affaires en termes de sucre polarisable pour la filière. On est donc bien loin des 77,5 M€ annoncés par certains…

Techniquement, ensuite, il existe des outils pour indemniser les agriculteurs, mais rien ou si peu à destination des groupes sucriers, pour qui l’impact du défaut de livraison est fort dans un secteur constitué aux deux tiers de coûts fixes. Et même pour les agriculteurs, les outils aujourd’hui à disposition passent par les dispositifs de minimis, qui sont limités à 20 000 € sur trois ans, ou par les outils assurantiels de la PAC, qui ne se déclenchent qu’à partir de 30 % ou 20 % si on décidait de mettre en œuvre le règlement européen Omnibus.

Autant dire que, sans la technique, le système indemnitaire seul ne tient pas. Aujourd’hui, le dossier indemnitaire doit être traité en deux temps.

Il y a l’urgence de l’année : il faut que l’État puisse donner rapidement des indications aux betteraviers quant aux indemnisations auxquelles ils auront droit pour pallier une situation d’impasse technique dans laquelle ils ont été placés et répondre à des situations de trésorerie très difficiles.

Ensuite, il y a l’avenir. Le programme de recherche de la filière vise à trouver des solutions alternatives aux néonicotinoïdes sous trois ans. Elles seront peut-être imparfaites, un système de type assurantiel pourrait s’avérer utile pour faire face à des situations ponctuelles de difficultés sanitaires. C’est d’ailleurs sur cette base que s’est construit, en Italie, un système de fonds mutuel sur le maïs pour traiter 4 % des situations annuelles qui posent un problème. Mais cela prouve bien que la solution technique existe dans 96 % des cas ; et pour la jaunisse de la betterave, ce doit être aujourd’hui la priorité.