Et si les planteurs avaient la main sur une partie de la vente du sucre ? C’est ce qu’ont négocié les agriculteurs britanniques avec leur industriel, British Sugar. S’ils le souhaitent, les farmers pourront signer un nouveau contrat pour fixer, à partir des marchés à terme, le prix des betteraves semées en 2021. « Enfin une innovation contractuelle en betterave ! », s’exclame Timothé Masson, économiste à la CGB, qui rappelle que les planteurs de canne à sucre fixent depuis longtemps une partie du prix de leur récolte sur les marchés à terme.

Ce nouveau contrat a été réservé à 100 planteurs (sur environ 3 200 livrant British Sugar) pour la campagne test 2021-2022.

Les betteraviers volontaires ont pu engager un maximum de 10 % de leur livraison. Dès lors qu’ils ont choisi ce contrat, leur interlocuteur commercial, sur cette quantité, n’est plus British Sugar, mais le trader Czarnikow. Le prix de référence est celui du marché à terme du sucre blanc (#5) à échéance décembre 2021, que les planteurs peuvent consulter sur la plateforme de ce trader. La valeur de la betterave découle de ce prix : un calcul a été négocié entre la NFU (l’équivalent britannique de la CGB) et British Sugar. Concrètement, une formule (voir ci-dessous) retranche un montant fixe négocié (le coût de production de British Sugar), convertit le prix du sucre en prix de la betterave sur la base du taux de sucre extractible à partir de celle-ci (6,25 tonnes de betteraves par tonne de sucre), et déduit les frais de gestion au profit du trader. Si l’on fait le calcul sur la base du cours de début octobre, la formule donne 22,88 £/t, soit 25,03 €/t à 16°S.

À tout moment, le planteur peut décider de retenir le prix affiché sur la plateforme du trader comme prix de paiement de ses betteraves. En fin de campagne, il recevra ce montant de Czarnikow. « Avec ce système particulièrement simple, chaque partie (British Sugar et le planteur) aura géré son risque prix, avec un même intermédiaire extérieur, mais aucune des parties ne connaîtra la valeur retenue par l’autre », explique Timothé Masson.

Et en France ?

Un tel système pourrait-il voir le jour chez nous ? Pour le moment, seul Cristal Union propose à ses adhérents un service – Opti’sucre – pour aller sur le marché à terme. Mais cette opération d’achat de sucre est complètement décorrélée du prix des betteraves. « Les coopérateurs de Cristal Union ont la possibilité de moduler leur recette betteravière en achetant des options sur le marché à terme du sucre, mais elle n’est pas beaucoup utilisée, constate Bruno Labilloy, directeur agricole du groupe Cristal Union. Les planteurs préfèrent déléguer la vente du sucre à leur conseil d’administration. La force d’un groupe coopératif est de pouvoir absorber les baisses de prix sur le marché mondial. »

Globalement, les industriels français ne semblent pas très enthousiastes pour mettre en place un système de prix de betteraves en corrélation avec le marché à terme. Le succès ou l’échec du test britannique nous dira si cette méthode présente un réel intérêt pour les planteurs… Affaire à suivre !

« Accéder aux opportunités du marché »

Arthur Marshall, économiste à la National Farmers Union (NFU)

Pourquoi avez-vous mis au point ce contrat ?

Début 2018, British Sugar voulait nous faire signer un contrat dans lequel le prix était déterminé de manière passive par celui du marché à terme. Nous n’étions pas prêts à convenir d’un prix simplement fixé par les mouvements du marché, sur lesquels les producteurs n’ont aucun contrôle. Nous voulions que ceux-ci puissent accéder aux opportunités du marché, mais avec un mécanisme pour gérer les risques. Nous avons donc eu l’idée de développer un contrat basé sur des prix à terme, qui pourraient ensuite être couverts indépendamment par les deux parties, et permettraient aux producteurs et à British Sugar de fixer chacun le prix de la betterave selon leurs besoins. Nous avons mis deux ans à convaincre British Sugar.

Comment cette proposition a-t-elle été reçue par les agriculteurs ?

Les agriculteurs se sont montrés très intéressés par ce projet pilote. Nous avons limité la participation à un maximum de 100 producteurs cette année, qui peuvent placer chacun jusqu’à 10 % de leur tonnage total sous contrat. Ce plafond a été atteint en trois semaines. Nous pensons que d’autres producteurs voudront participer l’année prochaine.

N’y a-t-il pas un risque de subir des pertes ?

Les producteurs sont exposés à des risques et à des opportunités. Ils peuvent subir des pertes, mais c’est le cas de tous les contrats betteraviers conclus depuis 2017. La clé de ce contrat est que les producteurs peuvent gérer le risque de prix, contrairement à la plupart des contrats betteraviers en Europe, lesquels ont une clause de partage de la valeur qui expose les producteurs au marché, sans aucun moyen de gérer ce risque.

Les betteraviers connaissent bien la gestion des risques de prix sur les marchés des céréales et des oléagineux, ce contrat n’est donc pas très différent de ceux auxquels ils sont habitués.