Après le sanglier, le cerf ? Dans le Haut-Rhin, un arrêté du préfet pris début février a mis le feu aux poudres. Il demandait en effet aux chasseurs de poursuivre la chasse du cerf et du daim jusqu’à la fin du mois. Non seulement de jour, mais aussi de nuit, en utilisant des lampes et des systèmes de visée infrarouge. La Fédération des chasseurs du Haut-Rhin réagit aussitôt. Dans un communiqué, elle souligne son« opposition formelle à cet arrêté ressenti comme une véritable déclaration de guerre aux chasseurs ». Elle invite ses adhérents à « ne pas participer aux actions de destruction des cerfs et des daims ordonnées par le préfet aux lieutenants de louveterie, selon les modalités permettant un véritable abattage de masse ».

Face à ces réactions, la préfecture argumente sa décision. Elle estime que les quotas ne sont pas respectés, avec « au 22 janvier, seuls 69 % de cerfs et 80,5 % de daims sur le minimum départemental fixé [qui] ont été prélevés dans le Haut-Rhin ». Des chiffres que les chasseurs contestent. Selon eux, la préfecture ne prend pas en compte les derniers constats de tir, reçus jusqu’au début du mois de février. « On est à 96 % pour les daims et à 82 % au niveau des cerfs par rapport aux objectifs des schémas », martèle Gilles Kaszuk, président de la fédération des chasseurs haut-rhinois, qui conclut : « je m’oppose à l’arrêté car la fermeture légale est fixée au 1er février. On n’a pas à poursuivre la chasse sous prétexte de quotas, c’est illégal. Prélever, oui, massacrer, non ! ».

Abroutissements

Le débat n’est pas nouveau. Il oppose les chasseurs désireux de préserver le grand gibier aux représentants de la sylviculture et de l’agriculture qui, eux, souhaitent protéger davantage la forêt et les récoltes.

Le cerf et le daim sont moins nocifs que le sanglier pour les cultures – sauf sur les semis hivernaux – mais ils se rattrapent sur la forêt. Les dégâts sont les suivants : abroutissement (les animaux mangent la partie supérieure des jeunes arbres) écorçage, et ébourgeonnage. L’Office National des Forêts (ONF) a depuis longtemps sorti le carton rouge. « Sur 100 000 hectares de forêt publique, explique l’Office,« les deux tiers souffrent du déséquilibre lié à un trop grand effectif d’animaux ».

L’ONF campe sur ses positions. Il y a deux ans, Renaud Klein, expert national pêche et équilibre forêt-gibier à l’Office disait déjà : « la situation ne s’est pas améliorée, même si elle varie selon les territoires ». Selon lui, les régions Grand Est, Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté demeurent très concernées, mais le grand gibier n’épargnerait pas les forêts d’Auvergne, de Lozère, du Limousin, du Sud-Ouest et bien d’autres encore.

Le cerf occupe désormais plus de 49 % des surfaces boisées, contre 25 % en 1985.

Ce débat réconcilie – pour quelques jours – les ennemis d’hier. Les associations de protection de l’environnement se sont ainsi emparées du sujet et soutiennent… les chasseurs. « Si la chasse est respectueuse des animaux, ce n’est pas un problème. Il faut laisser les chasseurs réguler », exprime Hubert Ott, président de Rouffach Incitation Nature. « Nous considérons que l’intérêt général n’est pas d’abattre en masse des cerfs et des daims parce que les forêts vont mal », conclut-il.

« Coup de com »

La polémique trouble les adversaires de la chasse, surtout à un moment où journaux et radios bruissent des prétendus « méfaits » qui seraient commis par les veneurs sur des cerfs.

Difficile de soutenir les uns après avoir agoni les autres. On s’en tire par des pirouettes. « Coup de com ! » lâche ainsi un journaliste d’Europe 1 en commentant la position des chasseurs du Haut-Rhin. Il montre ainsi qu’il ne connaît rien au débat, mais qu’il a des convictions.

Plus sérieusement : où situer l’équilibre ? Tout dépend des milieux et des forêts. Une forêt de feuillus variés avec des taillis et de nombreuses ouvertures à la lumière peut supporter une densité de 10 cerfs aux 100 hectares. Mais les forestiers préfèrent abaisser la barre pour se donner une sécurité.

Ne sont-ils pas tentés parfois d’en faire trop pour privilégier le végétal sur l’animal ?

Dans le Haut-Rhin, les chasseurs ne se gênent pas pour le dire. Pour le daim, disent-ils, Il faudra choisir entre l’acceptation de certains dégâts en forêt (il ne s’agit pour l’essentiel que d’essences de bois de chauffage à valeur économique réduite) ou la disparition de l’espèce.

Les chasseurs se méfient aussi de la progression constante du loup qui risque de faire des coupes sombres dans les populations de cervidés.

Une chose est certaine : la puissance publique a besoin des chasseurs pour contenir ses populations de grands animaux. Leur utilité se voit ainsi confortée au niveau national. Pour le reste, l’arrêté du préfet reste anecdotique. On ne résoudra pas le problème en quelques jours et, comme les chasseurs ont décidé « de faire grève », c’est un coup d’épée dans l’eau.

Tout se jouera donc sur les âpres discussions présidant aux futurs plans de chasse…