Trois ans après la proposition de la Commission européenne et de nombreux trilogues entre le Parlement, la Commission et les États membres, les ministres de l’Agriculture des 27 pays sont enfin arrivés à un compromis sur la future PAC, le 28 juin dernier. Les grandes orientations de la nouvelle réglementation sont désormais connues. Pour les betteraviers, les aides directes resteront relativement stables, mais elles pourraient être sérieusement amputées en cas de difficulté à accéder aux éco-régimes, ces nouvelles aides directes finançant des mesures allant au-delà des exigences de base de la PAC. (Voir Le Betteravier français 1128 p 6). Les éco-régimes ont fait l’objet d’âpres discussions entre le Parlement et le Conseil pour finalement déboucher sur un compromis de 25 % des fonds du premier pilier de la PAC, avec un plancher à 20 % pour les deux premières années de mise en œuvre (2023 et 2024).

Niveau « standard » ou « supérieur » ?

L’enjeu est important pour les betteraviers, puisque ces aides directes, qui vont remplacer les anciens paiements verts, seront de 54 €/ha pour le niveau « standard » et de 76 €/ha pour le niveau « supérieur ». Deux chiffres qui ont été dévoilés par le ministère de l’Agriculture le 13 juillet.

Tous les ans, chaque agriculteur aura le choix entre trois voies d’accès pour toucher ces aides :

  • La certification de l’exploitation (bio ou HVE 3), qui garantit de toucher le niveau d’aide supérieur.
  • La diversité des cultures, appelée « pratique de gestion agroécologique des surfaces agricoles ».
  • La mise en place de surfaces non productives, dites infrastructures agroécologiques (IAE).

Parmi les trois voies possibles, celle de la certification environnementale de niveau 3 (HVE) est aujourd’hui difficilement atteignable pour les betteraviers. Le problème réside dans le niveau des Indicateurs de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT) pour le désherbage. Mais une nouvelle certification environnementale de niveau CE2 + sera proposée pour bénéficier du paiement « standard ». Un critère supplémentaire a été créé pour y parvenir, intitulé « sobriété », qui porte sur l’usage de matériels d’agriculture de précision et le recyclage des déchets.

Les agriculteurs qui choisiront la voie « pourcentage de surfaces non productives », devront réserver 10 % de la surface agricole utile (SAU) en surface non productive pour atteindre le niveau « supérieur ». Le niveau d’aides « standard » de 54 €/ha serait atteint à 7 % de surfaces non productives.

La voie « pratique de gestion agroécologique des surfaces agricoles » semble a priori mieux adaptée pour la plupart des betteraviers. Ils devront cependant se plier à un petit exercice de scoring afin de cumuler les points nécessaires pour décrocher l’éco-régime. Le nombre de cultures implantées permettra en effet de calculer un nombre de points (voir tableau). Il est par exemple assez facile de récolter des points en implantant 5 hectares de légumineuses. Les agriculteurs cumulant 5 points et plus pourront atteindre le niveau « supérieur ». Ceux atteignant 4 points, le niveau « standard ». Mais en dessous de 4 points, cela signifie : aucune aide au titre de l’éco-régime.

Le ministère de l’Agriculture a enfin ajouté une nouveauté le 13 juillet : un bonus (top-up) cumulable avec les voies « certification » et « pratiques agroécologiques » dès lors que les haies occupent 6 % des terres arables d’une l’exploitation. L’enveloppe totale est dotée de 40 millions par an, mais le montant unitaire de l’aide n’a pas été précisé.

Une simulation réalisée par le ministère de l’Agriculture montre que pour les Otex 15 et 16*, 26 % des exploitations n’auraient actuellement pas accès à l’éco-régime si elles ne changent pas leurs pratiques, 18 % seraient au niveau standard et 56 % au niveau supérieur.

Conditionnalité renforcée

Un autre point crucial – et qui faisait figure d’épouvantail pour les grandes cultures – concerne l’obligation de rotation et les surfaces non-productives. Les fameuses « bonnes conditions agricoles et environnementales » BCAE 8 (rotation à la parcelle) et BCAE 9 (surfaces non productives). La FNSEA avait en effet alerté depuis longtemps le gouvernement et les parlementaires européens sur les impasses liées à une rotation annuelle stricte à la parcelle.

Concernant la BCAE 8 : l’accord politique trouvé lors du super trilogue dit que les États membres pourront choisir des mesures équivalentes autorisant les agriculteurs à faire deux années de suite la même culture, sur la même parcelle. Il suffirait de prendre en compte les cultures intermédiaires, l’enfouissement des pailles ou la pratique du mulching. Ce point sera tranché par le ministère français de l’Agriculture.

L’autre changement concernant la conditionnalité est la disparition des surfaces d’intérêt écologique (SIE). Avec la BCAE 9, les exploitants devront désormais avoir 4 % de leur surface constituée de l’ensemble « éléments topographique et jachères ». « Ce chiffre de 4 % peut descendre à 3 %, à la condition que 4 % de votre surface soient consacrés à des cultures intermédiaires, à des légumineuses ou à des cultures sans produits phytosanitaires. Mais on ne connaît pas le détail. On ne sait donc pas si cela est plus avantageux ou pas que les SIE », explique Timothé Masson, économiste à la CGB. En tout état de cause, cette part minimale de 3 % des terres arables consacrées à des zones non productives pourrait marquer ni plus ni moins le retour de la jachère, selon la manière dont ces zones seront définies !

Le poids du Green deal

Une autre interrogation demeure sur l’alignement des plans stratégiques nationaux (PSN) avec les objectifs du Green deal. Rappelons que celui-ci, avec les stratégies « de la ferme à la table » et « biodiversité », est très ambitieux puisqu’il propose notamment une diminution de 50 % des pesticides et une part d’agriculture biologique de 25 % de surfaces européennes.

Cet accord politique sur la PAC devrait être définitivement approuvé cet automne, et les États membres devront faire valider leur plan stratégique à Bruxelles pour la fin de l’année. La Commission disposera alors d’un délai de six mois pour évaluer et approuver les PSN, qui entreront en vigueur au début de 2023. D’ici là, prenez le temps de regarder quelle voie d’accès vous suivrez pour toucher l’intégralité des aides de l’éco-régime.

*Otex 15 : exploitations spécialisées en céréales et en oléoprotéagineux. Otex 16 : exploitations spécialisées en grandes cultures de type général (pommes de terre, betteraves, plantes sarclées).

Le sucre sera-t-il enfin éligible à l’intervention ?

C’est une occasion manquée pour l’Europe, qui aurait pu renforcer son secteur sucrier. Si des progrès ont été réalisés en matière de régulation des productions agricoles dans le cadre du règlement sur l’organisation commune des marchés (OCM) pour d’autres produits – par exemple le vin -, ce n’est pas le cas du sucre.

L’ambition était de permettre au sucre de bénéficier de l’intervention publique, c’est-à-dire l’achat des surplus puis leur écoulement, par exemple vers le débouché éthanol.

Cette demande d’organisation du marché était surtout portée par le Parlement européen par la voix de son rapporteur du règlement OCM, le député Éric Andrieu, et appuyée par le ministère français de l’Agriculture, à la demande de la CGB.

La régulation du marché du sucre était également jugée primordiale par les organisations de planteurs européens (CIBE), mais n’a malheureusement pas été soutenue par les sucriers représentés par le Comité européen des fabricants de sucre (CEFS), qui se sont exprimés contre cette mesure quelques jours avant le trilogue du 25 juin dernier, alors qu’ils la défendaient jusqu’à présent. Les pays déficitaires en sucre ont donc pu peser sur la décision.