La filière betterave-sucre-éthanol demande à nouveau une dérogation néonicotinoïdes (NNI) pour les semis 2022. Er ce pour trois principales raisons :
1 – Il n’y a pas encore de solutions alternatives efficaces pour lutter contre les jaunisses virales et les pucerons verts qui transmettent ces viroses. En aparté, nous poursuivons les recherches entamées dans le PNRI (Plan National de Recherche et d’Innovation) au cours de ces 3 années 2021, 2022 et 2023. La mission reste de sauver le soldat betterave à l’horizon 2024, dans un monde sans NNI.
2 – L’ANSES a déclaré dans la saisine 2016-SA-0057 (réponse publiée en 2018) au sujet du puceron vert Myzus Persicae que son impact sur la productivité était fort, que sa fréquence était permanente chaque année, et que son étendue était nationale. C’est donc une raison majeure à mes yeux.
3 – La chute du rendement betteravier en 2020 a été catastrophique, avec une baisse de 28 % au niveau national en comparaison de la moyenne 5 ans (2015 à 2019). Cette chute était due principalement à des jaunisses virales, et elle a traumatisé tous les planteurs français. Un certain nombre d’entre eux s’interroge aujourd’hui à poursuivre la production betteravière en l’absence de solutions, ce qui remettrait en cause immédiatement l’existence de plusieurs sucreries françaises. C’est une autre raison majeure de notre demande.
Un risque de jaunisse en 2022
Nous pourrions maintenant nous demander si le risque de jaunisse virale existe pour 2022 ?
À la demande du Gouvernement, l’Inrae et l’ITB se sont mobilisés pour étudier des critères permettant d’appréhender si possible le risque, et ce dès la campagne 2021.
Que dire sur la modélisation climatique ? Huit agences météo internationales font des prédictions de températures à 3 mois ; dès la fin 2020, l’ITB avait modélisé une corrélation entre les températures de la période 01/01 au 15/02 et la précocité de l’apparition des pucerons au printemps ; celle-ci s’est avérée exacte en 2021, et cette méthode est reproduite cette année. Pour l’instant, les prévisions indiquent une probabilité plus importante de connaitre une période plus chaude que la moyenne.
L’Inrae en a conclu (et je le cite) « qu’il n’est raisonnablement pas possible d’écarter l’hypothèse selon laquelle il y aura en 2022 une arrivée de pucerons suffisamment précoce, susceptible d’engendrer une fréquence significative de viroses avec une incidence négative sur le rendement en sucre de la betterave sur une part importante de la zone de la culture ».
Que dire sur les réservoirs viraux ? Les équipes techniques de l’ITB ont pratiqué cet automne 2021 des prélèvements sur des adventices en milieu betteravier, comme en 2020, et les ont analysés dans le laboratoire de l’ITB. Ils montrent à ce stade peu de présence de viroses. Contrairement à d’autres, je n’en déduis pas pour autant une faiblesse pour le risque d’apparition de la jaunisse en 2022, mais j’en déduis plutôt que nous ne connaissons pas tout, et que les réservoirs viraux sont à chercher ailleurs, voire à encore identifier. D’ailleurs, deux projets ont été retenus à cet effet dans le PNRI :
Le projet Sepim, dont la mission est de chercher, prédire, comprendre et expliquer les facteurs de risque de la jaunisse ;
et le projet Resaphid, qui lui vise à comprendre l’origine des pucerons vecteurs de la jaunisse, et à identifier les réservoirs viraux.
Autre point à prendre en compte, l’ANSES a déclaré que la jaunisse en betterave était endémique, c’est-à-dire tous les ans, et dans toutes les régions. Et bien, en 2021, dans les betteraves des FPE (Fermes Pilotes d’Expérimentation) de notre PNRI, qui n’ont pas de NNI en traitements de semences, ni de traitements aériens contre les pucerons, 35 parcelles sur les 40 notées ont été touchées par la jaunisse, et ce, dans toutes les zones de production française.
Enfin, je peux citer une étude du BBRO (l’ITB britannique), réalisée de 1994 à 2004, sur l’ensemble de leur territoire betteravier. Le pourcentage de pucerons ailés virulifères dans le cadre des toutes premières infections par des viroses (forme BMYV) de la jaunisse est faible, et de l’ordre de 1 % de tous les ailés observés. Cette proportion apparaît stable chaque année, quel que soit le nombre initial de pucerons capturés. Pour autant, chaque année, et sur l’ensemble de leur territoire, les témoins non traités étaient touchés systématiquement par la Jaunisse.
Et que dire sur la régionalisation de la dérogation ?
La question de la régionalisation est venue en regardant l’exemple allemand : pouvons-nous faire de même en France ? Cela mérite une explication. En 2019 et 2020, l’Allemagne fédérale a autorisé l’acétamipride sur tout son territoire, un NNI utilisable en aérien. En 2021, l’Allemagne fédérale a décidé de laisser le choix politique d’une dérogation NNI sur semences à chaque Land. Ceux-ci ont pris leur décision selon qu’ils avaient ou non des betteraves, puis qu’ils avaient ou non le risque de pucerons verts et de jaunisse, puis selon leur sensibilité politique. Cela les a amenés à prendre des décisions différentes, et s’est traduit en 2021 par une mosaïque régionalisée de la dérogation.
Ce n’est pas la même organisation politique en France où la décision est prise à un seul niveau, par le Gouvernement.
Pour autant, la France pourrait décider de ne pas accorder la dérogation dans toutes les zones betteravières si elle estimait qu’il était possible de s’en passer. Par exemple, le risque d’impact sur le rendement betteravier s’atténue avec l’arrivée plus tardive des pucerons dans la parcelle, et cela aurait pu exclure de la dérogation certaines zones identifiées comme telles. En effet, l’ITB avait toujours constaté que la sensibilité de la betterave à l’infection virale diminuait avec le stade de la plante, et déclaré que l’impact était généralement non significatif lorsque le puceron transmettait le virus après la couverture du sol par le feuillage betteravier, celle-ci se situant vers le 15 juin en moyenne, parfois avant (1er juin). Cependant, si c’est toujours vrai pour les deux polérovirus (BMYV et BChV), cela l’est beaucoup moins pour le virus de la mosaïque (BtMV) découvert fin 2020, et pas du tout pour le virus Jaunisse Grave (BYV) qui a explosé en 2020 ; ajoutez à ces quatre virus que leur croisement dans la même plante aggrave l’impact avec synergie, et donc augmente significativement le risque. D’ailleurs, le projet PROVIBE cherche à approfondir dans le PNRI notre connaissance en matière de co-infections.
Pour toutes ces raisons, en appui de l’ensemble de la filière, je demande que la France betteravière puisse bénéficier en 2022 d’une dérogation nationale.
*La consultation publique sur le projet d’arrêté autorisant les néonicotinoïdes sur semences de betteraves est accessible en cliquant sur le lien ici.