De l’autre côté de la Manche, les chercheurs et les sélectionneurs britanniques ont les coudées franches pour mener leurs recherches variétales. Depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne, ils ne sont plus liés à la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’OGM, qui interdit la commercialisation de toutes les plantes obtenues par des techniques mises au point après 2001.

Par cisgénèse, des chercheurs britanniques ont implanté, dans une variété de pommes de terre, trois gènes de résistance au mildiou issus d’une variété sauvage. Et comme les agriculteurs britanniques, convertis à l’agriculture biologique, ne sont également plus soumis à la réglementation européenne sur l’agriculture biologique, ils pourraient accepter de cultiver cette nouvelle variété de pommes de terre modifiée, sans avoir pour autant le sentiment de déroger à leur ligne de conduite, puisqu’ils n’emploient ni engrais, ni produits phytosanitaires.

La pomme de terre (comme la tomate) est un matériel génétique bien plus facile à travailler que les céréales. Le processus de sélection et de régénération est avantageux et aisé.

Depuis le début des années 2000, les centres de recherche ont accès à de nouvelles techniques de sélection variétale (édition génomique – modification de gènes, cisgénèse – implantation de gène entre plantes de même variété comme similaire à un processus de sélection naturelle) qui accélèrent les processus de sélection observés dans la nature. Leur outil de travail est le génome des plantes. Aucun gène issu d’organisme étranger n’est inséré dans le patrimoine génétique des plantes.

Variétés résistantes aux maladies et aux ravageurs

Aujourd’hui il n’y a aucune variété de pommes de terre commercialisée obtenue par édition génomique, par cisgénèse ou par transgénèse.

Pour autant, les programmes de recherche ne manquent pas. Les chercheurs en conduisent plusieurs dizaines dans l’espoir de voir un jour la réglementation évoluer, car selon eux, le statu quo ne peut plus durer. « Pour que l’agroécologie soit un succès, il faut permettre aux agriculteurs d’avoir accès à des variétés résistantes à des maladies et à des ravageurs », défend Georges Freyssinet, président de l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV).

Selon le rapport du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne sur « les applications de l’édition génomique » rendu public en mai dernier, 47 programmes de recherche dans le monde portent sur les plantes tubéreuses : 27 en recherche fondamentale, 20 en recherche-développement dont 3 en pré-commercialisation.

Tels qu’ils sont présentés, ces programmes de recherche ne distinguent pas ceux qui ciblent spécifiquement les pommes de terre des autres, et en l’occurrence les betteraves sucrières. « Mais certains indices laissent penser qu’une partie d’entre eux porte bien sur les pommes de terre puisqu’ils ciblent la composition d’amidon, le stress biotique (mildiou), la résistance aux ravageurs (doryphores) et le stockage », explique le président de l’AFBV.

Ces 47 programmes de recherche inventoriés sur les plantes tubéreuses font partie des 426 programmes identifiés par le rapport JRC.

Les programmes sont conduits par des organismes publics de recherche fondamentale ou par des organismes de recherche-développement. Mais il est difficile de connaître exactement les sujets de leurs recherches, car les laboratoires se livrent entre eux à une rude concurrence.

La Chine apparaît comme l’un des pays les plus avancés, avec 86 produits NBT. L’Union européenne n’est pas en reste : la France a à son actif une quinzaine de sujets de recherche, mais c’est deux fois moins qu’en Allemagne.

Des variétés BT dans les années 1990

Les recherches menées par le passé, basées sur la transgénèse (qui ont conduit, pour le maïs, aux variétés BT), n’ont jamais réellement abouti soit pour des raisons réglementaires, soit pour des raisons commerciales. Même aux États-Unis ! Elles sont restées au stade de recherche.

En Allemagne, la pomme de terre féculière Amflora a cessé d’être cultivée au bout de deux ans, faute de débouchés. Les industriels ne parvenaient pas à vendre les produits dérivés, car la variété de pommes de terre était estampillée « Organisme génétiquement modifié ». Et pour les agriculteurs français, qui ne pouvaient pas y avoir accès, cette culture était source de distorsion.

Le souvenir des grandes famines en Irlande dans les années 1840, resté dans les mémoires des Américains d’origine irlandaise, ont motivé la recherche à trouver des variétés résistantes au mildiou et aux doryphores.

La variété Newleaf a été obtenue par transfert d’un gène BT issu de Bacillus qui rend les feuilles toxiques. Les doryphores qui les mangent, en meurent.

Plusieurs expériences ont permis de créer des pommes de terre transgéniques à teneur enrichie en caroténoïdes, en particulier le bêta-carotène (ou provitamine A) et la zéaxanthine, substance qui a un rôle protecteur des cellules de la rétine.

La variété Innate, obtenue aussi aux Etats-Unis par transgénèse dans sa première version, puis par cisgénèse dans sa seconde, n’élabore pas d’acrylamide à la cuisson, ne brunit pas à l’air et est résistante au mildiou.

La Commission européenne va continuer ses consultations au cours de ce semestre sur les nouvelles techniques de sélection variétale (NBT) et produire une étude d’impact des options politiques, avant d’élaborer une proposition législative en 2023… L’Europe prend son temps, mais la réglementation pourrait alors changer !