La théorie dite « des dominos » a été inventée par les Américains dans les années 60 pour justifier leur intervention. Selon elle, un pays devenu communiste fera obligatoirement tomber le voisin. On peut l’appliquer aujourd’hui à la réglementation cynégétique. Les dominos tombent les uns après les autres. La tenderie aux vanneaux dans les Ardennes, ainsi que la tenderie aux grives et aux merles dans le même département, sont désormais interdites. Cela fait suite à la décision du conseil d’État du 24 mai 2023. La même décision confirme l’interdiction de la chasse aux grives au gluau. La chasse de l’alouette aux pantes et aux « matoles » – un classique du Sud-Ouest – est « suspendue ». Ce délicat euphémisme signifie en réalité définitivement interdite, puisqu’aucune « suspension » n’a jamais donné lieu à rétablissement. À noter qu’une initiative préfectorale d’autorisation scientifique, temporaire et limitée, pour compter les prises, a été balayée par deux tribunaux administratifs en octobre dernier (Gironde et Lot-et-Garonne). Seuls les départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques ont eu gain de cause.
Dans le viseur désormais : la chasse de la palombe aux filets horizontaux (pantes) ou verticaux (pantières). Il s’agit là d’une chasse ancestrale qui touche aux racines même du Sud-Ouest.
Attraction touristique
Les « paloumayres » forment une corporation de passionnés et la palombière de brande fait, à l’automne, partie du paysage au même titre que le pin ou le chêne vert. Ce sont des installations conduites par de fines équipes. On ne s’improvise pas « paloumayre ». Il faut une longue formation pour savoir comment agiter les appelants au sommet des perches, faire descendre les vols, les forcer à se poser sur les arbres d’abord, puis sur le sol entre les filets. Voilà pour le piège horizontal. Quant au vertical pratiqué dans les cols des Pyrénées, c’est également très complexe. Le filet est posé à l’extrémité d’une gorge. Installé sur les pentes, des deux côtés, des guetteurs lancent vers l’oiseau bleu des palettes censées imiter le vol d’un rapace. Quand les pigeons les voient, ils plongent pour échapper au prédateur et donnent dans la nasse installée plus bas. Au col d’Osquich, c’est une attraction touristique. En effet, les touristes installés sur la terrasse de l’hôtel, au bord de la route, peuvent assister à la chasse, voir les vols papillonner dans le ciel puis brusquement piquer après le lancer de palettes et s’engouffrer dans la maille. Toucher à cette chasse aux palombes, qui fait l’objet d’un véritable culte, mettrait sans doute le Sud-Ouest à feu et à sang, mais nos bureaucrates ont le cuir tanné. Bruxelles n’aime pas la chasse au filet. Le Conseil d’État non plus. On attend donc le bon moment pour faire tomber le couperet.
Un domino de plus !
Côté gibier, les petits rectangles blancs n’en finissent pas de tomber. La chasse de la tourterelle des bois, du courlis et de la barge est toujours « suspendue ». Nous avons dit la signification réelle de ce mot. On peut comprendre pour la tourterelle des bois ( effectifs en forte diminution) – même si, compte tenu des dates d’ouverture, les prélèvements étaient minimes – mais pour la barge à queue noire et le courlis cendré, c’est beaucoup plus discutable. La bécassine des marais n’est plus très loin du viseur. Pour le grand tétras, c’est fait.
Effet cliquet
C’est le fameux « effet cliquet » du plan de gestion français. Le plan de gestion mérite notre approbation quand il fonctionne dans les deux sens. Une espèce diminue, on la met à l’abri mais, si elle se remplume, on autorise sa chasse. C’est ce que font les Québécois notamment, avec la gestion de l’oie blanche. En France, on n’a jamais vu une espèce soustraite à la chasse – par exemple, la bernache cravant – y revenir quand elle est gaillarde.
On peut aussi faire tomber des dominos dans le domaine purement juridique. La location des baux de chasse de gré à gré sur le domaine public maritime, au profit des associations de chasseurs de gibier d’eau, contient une obligation de rapport des prélèvements. Or, celle-ci n’est pas toujours respectée. C’est en effet difficile de courir après tous les chasseurs de grèves pour leur demander combien d’huîtriers pies ils ont prélevé. Très bientôt, en cas de manquement, l’association sera écartée.
Le plomb, interdit au marais, est certainement en sursis sur le domaine terrestre.
Déjà, on a poussé son interdiction à cent mètres d’une zone humide (au lieu de 30).
Chaque année, un nouveau domino tombe. Il n’y a plus de « nuisibles » et la régulation des « Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD) est devenue très difficile.
Qu’il s’agisse du gibier, des armes, des munitions, de la réglementation – le fameux « ratelier virtuel » – du gibier ou des territoires, rien n’est épargné.
Un nouveau décret sanctionne la « chasse en état d’ivresse ». C’est bien connu : tous les chasseurs sont bourrés. C’est d’ailleurs ce que souligne élégamment Albert Dupontel dans son dernier – et mauvais – film « Second Tour ». On attend maintenant un nouveau décret autorisant la maréchaussée à interpeller un chasseur sous ecstasy, ce qui ne saurait tarder.
Quand on sait qu’en cinquante ans on a perdu 1 million de permis, on peut se demander si l’objectif final n’est pas l’asphyxie létale.
Lassé de l’inquisition perpétuelle, des interdictions en tout genre, de la réduction drastique à la fois des modes de chasse et des gibiers, des vexations, des suspicions, le pratiquant est de plus en plus tenté de raccrocher le fusil.
Ainsi, vidée de l’intérieur, la chasse s’éteindrait-elle « naturellement ». Une option qui, au vu des récentes décisions, prend année après année davantage de consistance.