Stratégies sur chénopodes

La qualité du désherbage n’est pas forcément corrélée avec les quantités de produits épandues. C’est ce que montrent les résultats d’un essai effectué dans le département de l’Aisne en 2023 sur chénopodes (figure 1). Les modalités avec un deuxième mode d’action, clomazone, obtiennent les meilleures notations (modalités 1 et 2 sur la gauche). L’objectif du protocole était de mieux gérer les ombellifères mais des chénopodes étaient également présents dans la parcelle (13 par m²). Le tableau ci-dessous représente les différents modes d’action permettant de lutter contre les chénopodes pour la culture de la betterave. Dans cet essai, 4 passages ont été réalisés dans chaque modalité* :

– phenmédiphame (HRAC n°5) : produit Bettapham entre 0,8 et 1,2 l/ha en fonction des passages, même dose pour toutes les modalités.

– métamitrone (HRAC n°5) : produit Grizzli VXT, quantité en fonction des modalités (voir figure 1).

– clomazone (HRAC n°13) : produit Centium 36CS à 0,035 l/ha pour les modalités 1 et 2.

En complément, l’ITB réalise des travaux avec l’Inrae sur la résistance des chénopodes aux modes d’action 2 et 5. L’objectif est de mieux comprendre le salissement des parcelles. Sur la figure 2, environ deux tiers des parcelles analysées possèdent une population de chénopodes résistants au mode d’action 5. À noter que les prélèvements de chénopodes étaient effectués en fin d’été dans des parcelles en échec de désherbage. Dans ces situations de résistance, les chénopodes seront à gérer avec d’autres spécialités ou avec des interventions mécaniques lors de la prochaine rotation. Concernant le mode d’action 2, aucune population de chénopodes résistants n’a été trouvée. Les équipes régionales de l’ITB réalisent chaque année une enquête sur le salissement des parcelles de betteraves. Dans chaque délégation, les chénopodes sont les adventices les plus fréquemment rencontrées. La recherche de résistance par l’Inrae est réalisée grâce à des tests ADN (PCR) afin de détecter les mutations.

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(*) Détails des programmes pour les produits efficaces contre les chénopodes ; (**) HRAC : Herbicide Resistance Action Committee (Comité d’action pour les résistances aux herbicides).

Stratégies sur graminées

Les parcelles avec une problématique de graminées sont en augmentation dans la culture de la betterave. En cas de pression montante de vulpins ou de ray-grass, l’utilisation de différents modes d’action est une stratégie qui favorise l’efficacité et permet de limiter le développement de la résistance.

Un essai avec différents produits a été mis en place en Normandie, en 2023, dans une parcelle avec une pression élevée de ray-grass (une soixante/m²). La figure 3 montre les notations de satisfaction de 3 programmes. Celui de gauche avec un seul mode d’action (n°1) obtient une note de satisfaction de 5,3 sur 10 (point noir au centre de la boîte à moustache). Au centre, l’ajout d’un mode d’action avec le diméthénamide-P améliore l’efficacité du traitement avec une note de 6,3/10. À droite, l’adjuvantation renforcée (avec le sulfate d’ammonium du produit Actimum) permet d’obtenir une note supérieure à 7, qui est le seuil de satisfaction.

La figure 4 montre une différence de satisfaction entre 2 molécules du même mode d’action. La cléthodime (Centurion 240 EC) associée avec diméthénamide-P (Isard) et avec une adjuvantation renforcée (Actirob B et Actimum) obtient une note de 7,5/10 contre 2,3 si la cléthodime est remplacée par la cycloxydime (Stratos Ultra) en rouge au centre. Ce résultat montre que la molécule cycloxydime n’est pas une alternative à la cléthodime dans ces parcelles avec une forte pression de ray-grass. La cycloxydime apporte malgré tout un supplément d’efficacité lorsqu’elle est ajoutée au mélange à base de cléthodime, à droite de la figure.

Dans cet essai, le traitement a eu lieu le 11 mai avec une bonne hygrométrie, lorsque les betteraves étaient au stade 4 feuilles naissantes.

Combiner les modes d’action est indispensable

Quelle que soit l’adventice visée, l’apparition des résistances est souvent corrélée avec une monotonie des produits utilisés. Dans ce cas, les plantes naturellement résistantes vont se développer d’année en année et devenir problématiques pour la culture en place. Une adventice étant rarement résistante à plusieurs modes d’action, il est recommandé d’en utiliser plusieurs sur la culture.

De moins en moins de molécules utilisables

La future réglementation (voir ci-contre) va limiter le nombre de molécules utilisables contre les graminées ces prochaines années. Les stratégies de lutte vont devoir évoluer. Les deux pages suivantes détaillent les prochains travaux des instituts techniques sur cette thématique dans le cadre du plan Parsada. L’objectif est de trouver des alternatives à la disparition des molécules.

3 questions à Christophe Delye, chargé de recherche à l’Inrae

Dans les grandes cultures, quel bilan pouvez-vous faire sur les résistances des adventices aux herbicides ?

D’une manière générale, elles sont en progression. La situation est même critique pour les graminées majeures (vulpin et ivraie***) en céréales d’hiver, avec une résistance aux modes d’action majeurs (très répandue pour les ACCase et ALS et en expansion pour l’élongation des acides gras [flufénacet, prosulfocarbe]). Il y a également une expansion concernant les résistances au glyphosate chez l’ivraie (vigne et grandes cultures). On note aussi la détection, en France, du premier cas de résistance (mondial) de vulpin résistant au glyphosate (grandes cultures).

Que préconisez-vous afin de limiter les apparitions des résistances ?

Il est nécessaire de diversifier la rotation ainsi que les techniques de désherbage et de n’utiliser les herbicides qu’en dernier recours. Ces derniers doivent être utilisés dans de bonnes conditions (pour une efficacité maximale) et en variant les modes d’action.

Comment voyez-vous la lutte contre les chénopodes dans les prochaines années ?

Avec l’arrivée de la betterave « tolérante » ALS, il ne faudrait pas que le désherbage de cette culture bascule dans le « tout ALS et rien d’autre ». Les inhibiteurs de l’ALS sont en effet la classe d’herbicide la plus utilisée et donc la plus « à risque » en terme de résistance. Maintenir la diversité des techniques et des modes d’action, sous peine de risquer de sélectionner rapidement des résistances (chénopode) ou d’en aggraver (ivraie, vulpin…).

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(***) Ray-grass

Informations réglementaires : Les herbicides

Concernant les adventices dicotylédones

– La molécule triflusulfuron-méthyle n’a pas été renouvelée par la Commission européenne. Les Autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits à base de cette substance active (Safari, Safari Duoactive, Shiro,…) ont été retirées le 20 février dernier. 2024 sera la dernière année d’utilisation pour ces produits. La fin de vente et de distribution est fixée au 20 mai 2024. Ces produits seront PPNU (Produits phytosanitaires non utilisables), après le 20 août 2024.

Concernant les graminées

– La molécule S-métolachlore n’a pas été renouvelée par la Commission européenne. 2024 sera la dernière année d’utilisation pour les produits à base de cette molécule (exemple : Mercantor Gold). L’Anses doit communiquer dans les prochaines semaines les dates officielles pour les écoulements des stocks. Ces produits seront PPNU (Produits phytosanitaires non utilisables), au plus tard le 23 juillet 2024.

– L’AMM du produit Avadex 480 a été retirée par l’Anses en septembre 2023. Pour ce produit, la date limite de commercialisation est fixée au 29 mars 2024 et la date limite de fin d’utilisation est fixée au 29 mars 2025.