C’est un canard que l’on a toujours plaisir à mettre dans le carnier, surtout le mâle en vêtement d’apparat. La femelle, beaucoup plus terne, est habillée de brun, sans taches de couleur à l’exception du miroir blanc de l’aile. L’oeil chez l’un comme chez l’autre est jaune d’or. Ce canard de surface – les Québécois disent plus joliment « barboteur » – vit volontiers en compagnie. On le trouve avec des sarcelles, des colverts, au milieu des foulques. Il ne dédaigne pas non plus la présence des limicoles et des échassiers comme le héron cendré ou l’aigrette garzette. Son bec en spatule lui donne une allure un peu lourde et, en vol, il pique toujours légèrement du nez comme si cet appendice le déséquilibrait. Comment ne pas songer à Cyrano ?

Une passoire

Au repos, le souchet barbote. On le voit filer à la surface la tête sous l’eau à la recherche des petites larves et animalcules aquatiques dont il fait son ordinaire. Le bec fait office de passoire. Il est en effet doté de chaque côté d’une sorte de peigne qui filtre tout ce qui se trouve sous la surface gardant le bon et rejetant le mauvais. Un examen approfondi montre que le canard utilise son large bec en l’ouvrant à peine. Contrairement au colvert qui peut basculer pour aller chercher sa nourriture plus profondément, le souchet reste en surface. Il s’étale, s’allonge et filtre. Au bout de quelques mètres il relève la tête, vous fixe de son oeil doré avec un air un peu ahuri et recommence à se nourrir. Le mâle est vraiment magnifique, on le dirait peint par un grand artiste. La tête est couleur d’émeraude, elle ressort d’autant mieux que le cou est d’un blanc très pur. Suivent des flancs acajou, un ventre blanc et un croupion où se mêlent des plumes bleues et vertes. Les pattes sont orange vif. Le bec est noir.

Jusqu’au lac Tchad

Dès les premiers gels, nos souchets quittent la France pour rejoindre des zones tempérées ou chaudes. Certains d’entre eux traversent même la Méditerranée et le Sahara pour passer l’hiver dans l’hémisphère sud. Pendant la période hivernale on en voit ainsi beaucoup sur le lac Tchad. D’habitude aimable et social, le canard développe un instinct territorial très développé au moment de la nidification. Contrairement aux autres canards de surface, il défend avec acharnement ce qu’il considère comme étant l’espace vital du couple, en général une zone pouvant couvrir de cinq à trente hectares.

Le nid se situe près de l’eau ; la femelle y pondra de neuf à onze oeufs. Les petits – qui ne sont pas encore affublés de leur énorme nez – sortiront de l’oeuf au bout d’une vingtaine de jours. Nidifuges, les canetons sortiront du refuge aussitôt pour affronter les nombreux dangers qui les menacent aussi bien sur terre que dans les airs. Sur terre, ce sont les rats et les petits mammifères carnivores ; en l’air, les pies, les corneilles et les busards. Après 45 jours les jeunes savent voler et ils peuvent donc mieux échapper à la prédation.

En France, la reproduction est surtout notée au nord d’une ligne Bordeaux – Lyon, avec deux ensembles où l’espèce présente une certaine vitalité, le Nord-Pas-de-Calais/Somme et la Loire-Atlantique/Vendée. À l’inverse, l’un des bastions historiques de l’espèce, la Dombes, semble de moins en moins propice. Au début des années 1980, elle accueillait 600 à 700 couples, soit pratiquement la moitié des effectifs nicheurs français. Dix années plus tard, on comptait seulement une centaine de couples. Quelques dizaines tout au plus y nicheraient encore ces dernières années. En dehors de la Russie (140 000 à 160 000 couples), la population européenne nicheuse est de l’ordre de 30 000 à 50 000 couples. Les Pays-Bas et la Finlande sont de loin les pays les plus importants pour la reproduction de cette espèce en Europe avec respectivement 8 000 à 9 000 couples. En Europe, sa chasse est autorisée en Finlande, au Danemark, au Royaume-Uni, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce et en France.

Discret

Ce canard se chasse comme les autres, à la passée, à la hutte, à la botte. C’est un oiseau très discret qui contrairement au colvert ne s’égosille pas pour appeler ses congénères. A la hutte, on tombe donc dessus par hasard quand il s’agrège à une bande de colverts par exemple. Il tombe bien sur un coup de 6 ou de 7, inutile de voir plus gros.

Quand il commence à faire sombre c’est parfois difficile de voir le bec caractéristique et donc le chasseur peut avoir une – bonne – surprise en allant chercher la pièce.

On fait rarement de gros tableaux de souchets. Ce canard évolue, en effet, en petits groupes évitant les grosses concentrations. C’est un canard de hasard, un canard de rencontre, un canard de bonne fortune.

En cuisine, la chair est bonne mais tourne assez vite ; c’est la raison pour laquelle il est conseillé de manger le souchet « au bout du fusil ».

Eric Joly