Cette fois toutes les digues sont rompues. Le sanglier pullule. On en voit partout : sur les golfs, dans les jardins publics, sur les aires d’autoroutes, en banlieue comme en rase campagne. Dans une récente lettre d’information Thierry Clerc, président de la Fédération interdépartementale des chasseurs d’Île-de-France (FICIF), donne le ton : « Vous savez tous que nous tentons de maîtriser l’expansion d’une espèce qui a un taux d’accroissement de plus de 100 %, loin de la gestion douce des populations de cervidés avec seulement une augmentation annuelle de 20 à 25 %. Ainsi force est de constater que cela nous entraîne la plupart du temps dans un retard de réaction. En bref, le sanglier a toujours au moins un coup d’avance sur nous, si l’on se réfère à la stratégie du jeu d’échecs ! »

Les prélèvements de la saison dernière (2018-2019) dans la zone FICIF laissent pantois : près de 10 000 sangliers, soit un prélèvement de dix sangliers pour 100 hectares boisés au-delà de toutes les logiques en termes d’équilibre agro-sylvo-cynégétique (la norme est de trois ou quatre individus pour 100 hectares boisés). Les conséquences sont aujourd’hui dévastatrices.

Il s’agit aussi de réduire une note de dégâts qui devient faramineuse. « Les efforts réalisés cette année, pour diminuer de façon significative les populations de sangliers, nous permettront d’éviter d’avoir des participations hectare boisé en 2021 en décalage complet avec les budgets de la FICIF et difficilement supportables pour vos budgets de chasse », martèle le président.

En outre, avec les fortes densités actuelles, le monde rural vit avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Si la peste porcine africaine surgissait, ce serait un désastre économique, sanitaire et cynégétique. Thierry Clerc propose un plan d’urgence :

• Augmentation draconienne des tableaux de sangliers, notamment dans les zones classées en points noirs aussi bien en forêts privées que publiques ;

• Augmentation des nombres de jours de chasse ;

• Interdiction des consignes de tir quantitatives et surtout qualitatives.

De deux à dix marcassins chaque année

Ce qui se passe dans la région parisienne n’est pas un phénomène isolé. Tout le pays est touché. Il est assez pittoresque de constater qu’il y a seulement quelques années le sanglier était géré avec des doigts de fée. Le chasseur qui s’avisait de tuer un sujet de plus de 50 kg écopait d’une rude amende, et il était hors de question de tirer les laies. C’était l’époque où les chasseurs s’efforçaient de « chasser beaucoup en tuant le moins possible ». Le sanglier en profita. Gorgées de nourriture, les laies devinrent de plus en plus fécondes. Elles font parfois deux portées par an, chacune forte de deux à dix marcassins. Quand le tsunami a envahi les campagnes, il était bien tard. Aujourd’hui la roue a tourné et on s’efforce de rattraper le temps perdu. Fini les plans de chasse délicats, il faut tailler le poil noir à ras. On organise des battues administratives, on allonge la période de chasse, on « régule » à tour de bras. Le problème, c’est que le fusil ou la carabine ne sont pas des armes de destruction massive. Quand le milieu lui convient et qu’une espèce explose voir le ragondin on a beau piéger, tirer, éparpiller façon puzzle, rien n’y fait.

Moins de compassion que pour le « bébé » phoque

En outre, si on y va trop fort, on risque aussi de heurter les sensibilités. Certes, le sanglier n’est pas le blanchon. On doute qu’une ex-actrice, militante des droits des animaux, presse un jour un jeune sanglier contre sa poitrine. Bête « affreuse, sale et méchante », comme dirait Ettore Scola, elle attire moins la compassion que le « bébé » phoque. Soit dit en passant cette espèce également envahissante et qui est un aspirateur à poissons aurait besoin d’une régulation. C’est du moins ce que pensent les pêcheurs de la baie de Somme. Mais il n’en est pas question. Pour des raisons d’image : le sanglier est laid, le phoque a de beaux yeux. Et donc la messe est dite.

Cela posé, et même si le sanglier n’attire pas la compassion, la multiplication des battues et donc d’hommes et femmes armés en milieu « périurbain » pourrait finir par inquiéter.

On voit donc que l’affaire est mal engagée. La colonisation est telle qu’elle devient pratiquement impossible à endiguer. Et si les chasseurs en font trop ils vont, tôt ou tard, se faire rattraper par la patrouille écologiste.

ÉRIC JOLY