Les initiatives publiques se multiplient en faveur de la bioéconomie ces derniers mois. Depuis le plan d’action présenté par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, fin février lors du salon de l’Agriculture, jusqu’à celui de la Commission européenne début octobre (lire l’encadré), elle a été remise au goût du jour par les politiques. Les agriculteurs s’y intéressent aussi fortement, espérant une amélioration de leur revenu et de nouveaux débouchés. Mais qu’est-ce que la bioéconomie ? Apparu dans les années 1920, le terme désigne aujourd’hui l’économie du vivant, dite « bio-sourcée ». Elle valorise la production et la transformation de la biomasse renouvelable par nature, regroupant tous les produits des filières animales et végétales, de l’agriculture jusqu’aux bioplastiques, en passant par les biocarburants et l’agroalimentaire.

L’Allemagne devant la France

Selon des chiffres fournis par le think tank AgriDées, la bioéconomie pèse environ 2 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’Union européenne. La France, en générant 316 milliards d’euros, est la deuxième contributrice derrière l’Allemagne. « Le terme de bioéconomie est très tendance. Il apparaît dans tous les discours, des ministères en passant par les régions », souligne Emmanuelle Bour-Poitrinal, ingénieur général des Ponts, Eaux et Forêts, membre du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation, et des espaces ruraux, qui s’exprimait le 11 octobre lors d’un colloque organisé à Beauvais (Oise) par UniLaSalle, sur la bioéconomie. Chargée d’un rapport sur le sujet pour le ministère de l’Agriculture, elle estime que la bioéconomie « doit permettre de passer d’une économie fossile à une économie renouvelable en s’appuyant sur la biomasse ». Mais certains freins et interrogations l’empêchent de se développer pleinement. « Ce qui est compliqué, c’est que la bioéconomie cherche à répondre à plein d’enjeux en même temps », affirme Marie-Cécile Damave, responsable Innovations et marchés chez AgriDées, qui vient de publier un livre blanc baptisé « Bioéconomie : entreprises agricoles et société, une urgence partagée ». Pour le think tank, la bioéconomie doit changer d’échelle pour se déployer plus largement. Un des obstacles reste celui du financement des projets. « Nous ne défendons pas l’idée de soutien public, mais de primes versées par les entreprises de l’aval aux agriculteurs », détaille Luc Esprit, administrateur d’AgriDées. Le think tank propose l’instauration de paiements pour services environnementaux (PSE). « Il faudrait que les PME soient encouragées à inscrire ces actions dans leur stratégie de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), comme pour les entreprises du CAC40 », ajoute Luc Esprit.

Freins réglementaires

Autre frein, celui de la réglementation. « Il y a un vrai problème en France sur la surtransposition des directives européennes, a souligné le 20 novembre, Angélique Delahaye, députée européenne, lors d’un débat organisé par Euractiv. « Quand une start-up vient me voir et m’explique qu’elle peut valoriser des déchets, et que le droit français le lui interdit, il faut trouver des solutions », poursuit Yvon Le Hénaff, président du pôle Industrie Agro Ressources (IAR), près de Laon (Aisne). AgriDées estime qu’il faut soutenir l’innovation pour lever certains freins au changement. « Dans les instituts et centres de recherche, la bioéconomie doit faire l’objet de programmes encouragés et soutenus », estime Marie-Cécile Damave, qui propose que les instituts techniques agricoles disposent d’une ligne de crédit dédiée à la bioéconomie et que l’Association de coordination technique agricole (Acta) coordonne les recherches appliquées. Le think tank plaide également pour que soient levées les contraintes réglementaires sur l’utilisation des coproduits animaux difficilement valorisables en France et sur la gestion des déchets, en faisant évoluer la réglementation des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Mais pour réussir, la bioéconomie doit mener plusieurs batailles, notamment celle de l’image auprès des concitoyens pour faire accepter ses projets. « L’opinion publique n’est pas toujours motrice. Les riverains ont du mal à accepter l’implantation d’usines de méthanisation à côté de chez eux. La production de biogaz est pourtant un des enjeux majeurs de la bioéconomie », affirme Marcel Lejosne, agriculteur et membre d’AgriDées. La rentabilité des projets est également un pré-requis. « Même si la bioéconomie présente de bons bilans environnementaux, les marchés ne font pas de cadeaux, déplore Emmanuelle Bour-Poitrinal. De plus, elle subit les attaques des lobbys, ceux de l’ancien monde du pétrole, et ceux de la décroissance ». La bioéconomie ne se développera que si l’on crée les conditions de rencontre entre l’offre et la demande, conclut-elle.

Adrien Cahuzac, avec Marie-Pierre Crosnier

Des soutiens français et européen

« Notre proposition est une stratégie globale. C’est d’investir 10 milliards d’euros d’ici 2027, dont une centaine de millions d’euros pour assurer les risques liés aux projets », a détaillé le 20 novembre, Christiane Kirketerpe de Viron, membre du cabinet de Carlos Moedas, commissaire européen à la recherche. Bruxelles a lancé le 11 octobre une feuille de route pour développer la bioéconomie en Europe. Une plateforme d’investissement thématique pour la bioéconomie circulaire, dotée de 100 millions d’euros, va être créée « afin de rapprocher les bio-innovations du marché et de réduire les risques pour les investissements privés ».

La Commission entend déployer la bioéconomie en mettant en place un mécanisme afin d’aider les pays de l’UE, dans le cadre du programme de recherche européen Horizon 2020, à se doter de programmes nationaux et régionaux de bioéconomie. Plus tôt dans l’année, le gouvernement avait présenté également, dans le cadre des États généraux de l’alimentation, une cinquantaine de mesures pour développer la bioéconomie en France d’ici à 2020, comme la mise en place d’un fonds de prêts sans garantie en faveur de la méthanisation à hauteur de 100 millions d’euros et la prise d’un décret pour faciliter le recours systématique aux produits biosourcés dans les organismes publics.