Tout va bien pour le loup. Son expansion démographique se poursuit avec 85 zones de présence permanente (ZPP) dont 72 meutes. Le dernier bilan hivernal faisait état de 74 ZPP dont 57 meutes. Cette croissance se traduit par un renforcement de la population dans le secteur alpin et provençal via le comblement des interstices entre les meutes. Dans le même temps, la population explore de nouveaux territoires. Comme pour toutes les espèces, les effectifs de loups varient pendant l’année : au printemps et pendant l’été, il y a des naissances, mais seule une partie des juvéniles survit à l’hiver. C’est l’estimation des effectifs en sortie d’hiver qui compte.

Au vu de l’évolution des données issues du suivi hivernal (2017-2018) et du suivi estival 2018, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) estime « probable que l’effectif en sortie d’hiver 2018-2019 dépasse les 500 loups ».

Ce chiffre correspond à un premier seuil de viabilité de la population. Or le gouvernement s’était fixé comme objectif d’atteindre ce seuil à l’échéance 2023 … Et il a pris l’engagement de réexaminer le dispositif de gestion de la population une fois qu’il serait atteint. Nous y sommes et beaucoup plus vite que prévu. Avec cinq ans d’avance !

Novlangue

Que va-t-il se passer ensuite ? Il faut lire avec gourmandise cette phrase du communiqué de presse. Elle est rédigée dans la novlangue chère à toutes les administrations. La voici : « L’ONCFS travaille d’ores et déjà pour être en mesure de nourrir les réflexions pour la révision des modalités de gestion si cette évolution se poursuit cet hiver ».

Traduisons en langage accessible : l’ONCFS est très embêté car il va falloir augmenter les prélèvements et c’est une décision « sensible ». Il faut donc avancer dans cette direction … à « pas de loup » pour ne pas braquer les supporters de l’animal ni le ministre en charge de l’affaire. On va donc dans un premier temps « nourrir les réflexions » pour ensuite éventuellement étudier « la révision des modalités de gestion ». Bref, on va surtout chercher à gagner du temps.

Il faut savoir que sur ce dossier notre Office de la Chasse et de la Faune Sauvage est tiraillé entre protecteurs des populations carnivores et protecteurs des populations d’éleveurs. Ceci explique la prudence serpentine …

La gestion dans le parc de Yellowstone

Ceux de nos lecteurs qui voudraient en savoir plus sur la gestion du loup peuvent acheter l’excellent livre d’Antoine Nochy « la bête qui mangeait le monde »*. Ecologue, spécialiste de la cohabitation de l’homme avec l’animal sauvage, formé par les américains dans le parc national de Yellowstone, Antoine Nochy nous change agréablement des écolos de salon. Son livre raconte sa quête pour obtenir de l’ONCFS qu’une zone des Cévennes soit classée en Zone de Présence Permanente (ZEP) du loup. Les éleveurs pourront alors être indemnisés. Antoine Nochy va donc passer ses jours et parfois ses nuits sur le terrain pour photographier des traces et placer des caméras. Son but : obtenir des preuves irréfutables de la présence du grand prédateur. Bien écrit, le livre se lit d’un trait et on prend plaisir à suivre les succès et les échecs de cet étonnant détective. Au passage l’auteur égratigne l’ONCFS qui, en cas d’attaques, coche un peu trop facilement la case « chiens errants ».

Pendant qu’il poursuit ses investigations la communauté des éleveurs s’émeut. Une manifestation à Séverac-le-Château rassemble autant de bêtes que celles qui ont été tuées par le loup : 8941 en 2016.

Pas de piégeage dans le plan national loup

Antoine Nochy n’en veut pas au loup qui agit … comme un loup. Mais il ne comprend pas la politique suivie par le gouvernement et l’ONCFS. Il souligne que les américains dans le parc de Yellowstone ont mis en place en cas d’attaques du cheptel domestique des pièges non létaux. Ces pièges pincent la patte du prédateur que l’on capture ensuite avant de le relâcher. Très intelligent, le loup qui a compris la leçon ne viendra plus roder dans les parcs à moutons. Tous les loups ne dévorent pas le bétail. Et ceux qui le font méritent une leçon. Pour lui, le tir de quelques loups au petit bonheur la chance n’est pas la bonne solution dans la mesure où il ne touche pas forcément le coupable. Antoine Nochy a fait venir en France un spécialiste américain chargé de la mission « capture » au parc de Yellowstone. Ce dernier a expliqué que le piège « Easygrap » se tendait en sept minutes seulement (beaucoup plus rapidement que notre piège national, le « Belisle »). Il a ensuite montré chiffres à l’appui comment on avait pu protéger les éleveurs grâce à cette politique de piégeage « dissuasif » s’appliquant aux individus déviants amateurs de moutons. Tout cela a fait l’objet d’un rapport qui n’a jamais été lu par les dirigeants de l’Office. Il n’y a pas de piégeage dans le plan national loup.

ÉRIC JOLY


* La bête qui mangeait le monde par Antoine Nochy, éditions Arthaud. Prix : 19,90 €.