Jean-Marc Jancovici n’y est pas allé par quatre chemins sur l’impact de l’agriculture sur l’effet de serre. Le chercheur, associé du cabinet Carbone 4 et président de think tank The Shif Project, était invité du débat sur l’économie zéro émission nette (ZEN) organisé par La Coopération agricole, le 18 février. « L’agriculture est responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France et de 30 % dans le monde, si on inclut la déforestation », a-t-il détaillé. Dans sa ligne de mire, l’élevage bovin, responsable de la moitié de l’empreinte carbone de l’assiette des Français selon lui, mais aussi la betterave. « Le modèle agricole que l’on a bâti depuis des générations, des coopératives industrielles, avec une chaîne logistique extrêmement longue, qui s’approvisionnent sur de grands rayons pour vendre des produits très spécifiques sur de larges rayons d’action, ne peut pas perdurer dans un monde sobre en énergie », a-t-il insisté, estimant que « les gens qui ne font que de la betterave à sucre vont devoir évoluer et faire autre chose ».
L’agriculture française et européenne doit se transformer, selon lui. « Il va falloir déspécialiser une partie des régions agricoles, raccourcir les chaînes logistiques, remettre des haies pour stabiliser les sols et se passer d’une partie des phytosanitaires », a-t-il prévenu. Pour lui, « il faut repasser un contrat avec les agriculteurs qui s’échelonne sur plusieurs décennies et leur dire d’accord pour que les prix soient garantis à un certain niveau, comme le faisait la PAC à une époque, en échange de modes de production vertueux ».

La betterave très énergivore

« C’est un changement majeur et en profondeur dans lequel nous nous engageons. Il y a un travail colossal à construire. Mais des initiatives sont déjà réalisées », a reconnu Dominique Chargé. Le président de La Coopération agricole a fixé comme objectif au secteur coopératif d’atteindre la neutralité carbone en 2035. La feuille de route précise devrait être dévoilée lors du prochain salon de l’agriculture, en 2022. Plusieurs groupes comme Cristal Union sont déjà engagés dans des efforts lourds. « L’enjeu est la diminution des dépenses énergétiques, pour extraire le sucre des betteraves et distiller l’éthanol », a souligné Michel Mangion, responsable RSE de Cristal Union. Le groupe veut réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. « Cela va représenter un investissement 30 à 40 M€ par an, soit un doublement de nos investissements », a-t-il annoncé, évoquant des projets de valorisation de l’énergie fatale à la sucrerie de Sainte-Émilie pour récupérer la chaleur perdue pour déshydrater la pulpe. « Cela permettra de supprimer 40 000 tonnes de C02 », a-t-il assuré.
Les objectifs que se fixe le secteur coopératif sont ambitieux. Mais « tenir ce cap ne pourra se faire qu’en garantissant la compétitivité des entreprises sur le long terme », a prévenu Dominique Chargé. Pour lui, cela devra passer par « la fin de la guerre des prix qui mine les négociations commerciales. C’est à ce prix que nous pourrons assurer la pérennité des exploitations, des filières et conduire l’ensemble des transitions ».