Fin 2015, Julien Grégoire est la sixième génération à s’installer avec ses parents à la ferme familiale, à Thieux, dans l’Oise. Le système de culture de cette ancienne ferme d’abbaye de 300 ha se résume alors à trois productions : blé, orge et betteraves (50 ha chez Tereos Chevrières) cultivés avec l’aide d’un salarié. Sa première récolte, en 2016, fut catastrophique. « Elle m’a permis de prendre conscience plus rapidement de la nécessité de nous diversifier », reconnaît-il. Pour ce jeune agriculteur, qui venait à peine de terminer ses études d’agronomie et de microbiologie, il n’y a pas eu d’hésitation : « J’avais fabriqué de la bière à l’université d’Amiens et étudié les différents paramètres affectant son goût. J’y avais pris beaucoup de plaisir et je souhaitais en brasser un jour à la ferme », se souvient-il.

Un des rares malteurs artisanaux

La moisson 2016 terminée, il aménage une brasserie de 80 m2 dans une ancienne bergerie. Il investit dans une cuverie pour produire 110 litres de bière par jour. Julien décide simultanément de lancer sa propre production de malt, une activité que les agriculteurs pratiquent rarement du fait de sa complexité. Cette étape consiste à faire germer le grain par trempage dans de l’eau et arrêter ensuite sa croissance par un passage au four à haute température (jusque 300 ºC). Le métier de malteur s’arrête à la sortie du four. Le jeune passionné achète un four de boulanger qu’il adapte, construit ses propres cuves de trempage et débute une période d’essais. La phase de recherche et développement durera dix-huit mois. Une période où il essaie de stabiliser son malt d’orge (Planet ou Sebastian) qu’il teste ensuite à la fabrication de bière. Patience et rigueur sont les atouts de Julien, qui note tout (températures, durées de trempage, etc.).

Rigueur et précision

Julien avait une idée très précise de la bière qu’il souhaitait obtenir : conviviale, typée, pas trop forte (4,5 à 5 °C). « Pour ma bière blonde, je suis arrivé à une rondeur en bouche avec une légère amertume, sans excès de houblon. Pour la brune, avec mon malt torréfié, j’obtiens un goût de caramel avec une note de café. Tout est dans l’équilibre », note-t-il. Julien pratique la fermentation haute, à près de 25 °C. Il assemble son malt, le houblon, la levure et l’eau puis brasse. Ensuite, il se transforme en zythologue – ou dégustateur de bière averti.

Enfin, en 2018, notre brasseur-malteur obtient les bières qui lui conviennent et commence la vente. Grâce à son réseau, il est très vite dévalisé. Une fois par mois, il participe au marché du terroir de Saint-Just-en-Chaussée, puis suivra celui de Breteuil. Il démarche aussi un café voisin et approvisionne les magasins de producteurs agriculteurs. Le brasseur va aussi bientôt obtenir son label Bienvenue à la ferme. Son autre projet, mené avec son Ceta, réside dans la qualification d’une bière sans résidus. Les premières analyses n’ont détecté aucun produit phytosanitaire.

Une bière paysanne locale et verte

Julien cherche à produire une bière très écologique. La chaudière pour chauffer le liquide va bientôt fonctionner avec de la biomasse. L’agriculteur a planté dix hectares de miscanthus dont deux seront consacrés à la brasserie, et l’un des bâtiments est couvert de panneaux photovoltaïques.

Aujourd’hui, le producteur développe quatre références : la Rhino cirrhose pour les plus jeunes et la Tils’Oise, bière de terroir déclinée en blonde, ambrée et brune. Julien vise la valeur ajoutée avec sa bière paysanne, qu’il commercialise à partir de 2,5 € en 33 cl. Un prix qu’il a fixé afin de pouvoir se rémunérer. Reste à résoudre le problème du temps, celui de malter, brasser et embouteiller. « J’ai décidé d’investir dans un outil de fabrication de 1 000 l avec deux cuves de brassage et une cuve tampon de 1 200 l pour rationaliser la production », détaille le jeune homme. Le permis de construire d’un bâtiment de 200 m2 est déjà accordé. L’étiquetage et l’embouteillage seront totalement automatisés (1 500 bouteilles par heure). L’objectif est d’atteindre une production de 20 000 l de bière en 2021. Si tout fonctionne, l’agriculteur espère pouvoir employer un salarié.

Le dynamique entrepreneur vend aussi son malt (en 1 et 25 kg) aux consommateurs qui brassent dans leur cuisine ou à de petites brasseries sur son site internet : www.ferme-du-tilloy.fr

Côté finances, la première brasserie a coûté 100 000 €, dont 55 000 € pour le bâtiment et 45 000 € pour le matériel. Le prochain investissement atteindra 400 000 €, comprenant le bâtiment, la chaudière biomasse et la cuverie. La chaudière biomasse bénéficie de 40 % d’aide régionale et de l’Ademe. La région et le département ont chacun contribué à hauteur de 10 000 € pour la diversification, croyant dans l’excellence brassicole de A à Z recherchée par Julien.