L’Europe, combien de silos ? La crise sanitaire a fait ressortir une fragilité de l’UE par rapport aux autres grands ensembles : les silos sont vides, ou peu remplis. Tout à la tâche d’embrasser l’économie mondialisée et de conquérir de nouveaux marchés pour ses agriculteurs, la Politique Agricole Commune, qui accapare près de 40 % des ressources annuelles de l’UE, ne s’est guère préoccupée de stocks alimentaires. Et alors que l’approvisionnement alimentaire subit des tensions, la question de la souveraineté alimentaire redevient cruciale.

Or l’UE a un niveau de stocks de céréales extrêmement faible, soit 12 % de la consommation annuelle, ou un mois et demi. Tous les autres grands pays sont plus prudents : la Russie (18%), l’Inde (23%), les Etats-Unis (25%). Mais c’est encore la Chine, le plus grand pays en nombre d’habitants, qui accapare tous les stocks, soit 75% de sa consommation.

43 jours de consommation de céréales contre 90 jours de pétrole

« L’UE juge que les approvisionnements peuvent se faire sur le marché. Or on a justement vu des pays comme le Kazakhstan ou la Géorgie ou même la Roumanie fermer leur marché à l’export : en cas de crise il n’y a plus de marché qui tienne », constate Frédéric Courleux, à la tête des études du think-tank Stratégies et agriculture. Le spécialiste s’étonne que l’UE organise des stocks de pétrole et de gaz de 90 jours de consommation dans chaque pays, et ne se pose pas plus la question alimentaire, pourtant plus cruciale pour le bien-être, voire la survie de sa population.

Montée du protectionnisme alimentaire

Ce que l’UE s’est efforcée de ne pas voir, à savoir la montée du protectionnisme alimentaire, est en effet à l’œuvre actuellement. Les Européens eux-mêmes ont garni leurs placards de denrées de subsistances, au point que la farine s’est régulièrement retrouvée en rupture de stock en France. Alors que la France est le premier producteur européen de blé. En cause : l’absence de capacités importantes de minoteries, la France produisant du blé mais peu de farine…

Et certains pays vulnérables cherchent à constituer des réserves de céréales, afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement alimentaire national. « Un tiers de l’offre de blé du marché est soumis à des mesures restrictives prudentes de la part de ses principaux exportateurs, Russie en tête. À ce stade, les interdictions d’exportation ont surtout entraîné un déplacement de la demande vers les pays européens, comme la France, plutôt qu’une pénurie de l’offre » constate la Coface dans une note d’analyse sur le commerce international.

L’organisme d’assurance à l’export souligne aussi que le riz a touché un plus-haut sur 7 ans, alors que ses stocks sont élevés à la fois en Chine, mais aussi en Inde et en Thaîlande, les deux principaux pays exportateurs. Là encore, le sujet est moins une question de stocks que de logistique : le confinement a entraîné l’interruption de certaines chaînes logistiques, rappelant que la demande alimentaire est elle constante et que le stock n’a aucun intérêt s’il n’est pas disponible localement, pour l’alimentation comme pour l’énergie.

Le grand retour des stocks ?

Dans sa stratégie « de la ferme à la fourchette », la Commission a toutefois pris en compte la récente crise. L’exécutif européen y précise notamment que la « réserve agricole de crise sera repensée pour que son potentiel puisse être utilisé en amont ». L’exécutif propose aussi un nouveau mécanisme, baptisé « réponse à la crise alimentaire », qui serait coordonné par ses soins et impliquerait les États membres. Les montants qui pourraient être consacrés à ces nouveaux outils ne sont toutefois pas encore définis.

Dans tous les cas, il semble que l’intervention publique ne puisse que revenir sur le devant de la scène, comme l’avance le think-tank Agriculture et Stratégie dans sa proposition sur le Green deal et la PAC.

Aline Robert (Euractiv.fr)