En cette fin de mois d’août, les équipes de la distillerie Goyard sont sur le pont. Devant l’entrée de l’établissement de Mareuil-sur-Aÿ (Marne), les camions remplis de marc de raisin de la zone AOC Champagne se succèdent toutes les deux minutes. Entre 250 et 300 véhicules franchissent, chaque jour, les portes de la distillerie durant les vendanges. Un coup de feu que connaît, tous les ans à la même période, cette entreprise de 48 salariés. Fondée en 1911 par Jean Goyard, elle appartient, depuis 2007, aux coopératives Cristal Union (89,9 %) et Cérèsia (10,1 %). Cette année, crise champenoise oblige, environ 65 000 tonnes de marc de raisin ont été avalées par Goyard, contre 85 000 tonnes en moyenne. Pour ce faire, la société dispose de trois sites de collecte : Villemereuil (Aube), Mareuil-sur-Aÿ (Marne) et Sept-Saulx (Marne).

Une fois entrés dans l’enceinte de la distillerie, les camions déversent leur chargement dans un grand bassin à même le sol. Un long processus de triage et de transformation débute alors. Il conduira à la fabrication de différents coproduits et alcools : pépins de raisin polyphénols, alcool industriel, tartrate de calcium, ratafia, fine champenoise, marc de Champagne… « Rien n’est jeté ou presque. Tout va être récupéré pour connaître une seconde vie », explique Maurice Lombard, le président-directeur général de Goyard. Un bel exemple d’économie circulaire. La première étape va consister à séparer la pulpe des pépins dans des tambours. Les pépins et les rafles sont ensuite extraits, tandis que les jus partent pour la distillation.

Industrie cosmétique

Les pépins sont destinés à l’industrie pharmaceutique et cosmétique pour des entreprises comme Sanofi, Oenobiol et Caudalie. « Nous sommes les leaders mondiaux de la vente de pépins polyphénols avec la meilleure qualité », revendique Michaël Robinet, le responsable commercial de la distillerie Goyard. Pour traiter le marc de raisin, il faut aller vite. Le séchage des pépins doit être réalisé au maximum dans les 24 à 48 heures suivant la sortie du pressoir, de manière à garantir une teneur optimale en polyphénols. « Chaque heure qui passe, la fermentation fait son travail et dégrade les polyphénols », souligne Mickaël Robinet. Une fois séchés, les pépins sont conditionnés en big bags. Cette année, pour la première fois, le travail s’effectue aussi sur du marc de raisin bio, pour satisfaire les demandes des clients en pépins bio.

Parallèlement, sur le marc de raisin fermenté, va être extrait du tartrate de calcium grâce à un processus de diffusion par eau chaude. Ce coproduit répondra aux besoins de l’industrie pharmaceutique et du bâtiment. De son côté, la pulpe de raisin, une fois séchée, sera vendue pour l’alimentation animale. « Il y a toujours un débouché porteur quand un autre peut être moins bon en fonction de la conjoncture. Ça permet de compenser », précise Michaël Robinet.

Mais l’activité la plus connue de Goyard reste la production d’alcools, industriels et de bouche (ratafia, fine champenoise et marc de Champagne), grâce à des colonnes de distillation. Celles en inox vont distiller des jus de marc de raisin pour fabriquer de l’alcool industriel, qui lui-même servira à l’obtention d’alcool surfin, très prisé depuis la crise du coronavirus (lire Le Betteravier français n°1113, page 8). La colonne en cuivre, elle, est dédiée à l’élaboration d’eau-de-vie. « Des jus issus des vins de dépassement de rendement autorisé (DRA) de l’AOC Champagne y sont distillés pour donner naissance à une eau-de-vie de 75 °. On la fait redescendre à 40 ° avec de l’eau distillée, pour donner naissance à la fine champenoise », détaille Michaël Robinet. Quant au ratafia, il est obtenu à partir d’un mélange d’eau-de-vie de vin et de moût de raisin champenois.

Une offre bio

Chaque année, 20 000 hectolitres d’alcool pur d’eau-de-vie de vin et de brandy sont produits, et quelque 150 000 bouteilles de fine champenoise, ratafia et marc de Champagne commercialisées. Une activité qui représente 35 % du chiffre d’affaires et qui progresse régulièrement. La création, en 2012, de l’Association des producteurs de boissons spiritueuses à Indication géographique (IG) champenoise a permis de professionnaliser le secteur. Son travail a notamment abouti, en 2015, à l’obtention de l’IG pour le ratafia.

Mais les activités de Goyard ne s’arrêtent pas là. La PME élabore également des huiles essentielles. Résultant de la distillation des lies de vin, elles sont ensuite vendues auprès de spécialistes des ingrédients alimentaires. Depuis deux ans, Goyard concocte aussi des huiles essentielles de livèche et de persil.

Durant les prochains mois, Goyard n’entend pas s’endormir sur ses lauriers. Pour la première fois, la distillerie devrait lancer un ratafia bio à l’été 2021. « Nous allons le produire cette année, mais il ne sera pas possible de le commercialiser avant dix mois, à cause des contraintes du cahier des charges des IG boissons spiritueuses », indique Michaël Robinet. De même, un ratafia chardonnay pourrait voir le jour. Dans les cartons également, la production de pépins bio, pour l’industrie cosmétique, et de pulpes bio. Enfin, un projet de méthaniseur est à l’étude, à partir de marc de raisin épuré. Même si le chiffre d’affaires (20,5 millions d’euros sur 2019-2020) peut faire figure de goutte d’eau au regard de celui de Cristal Union (1,7 Md€ en 2019-20), la distillerie apparaît comme une pépite rentable. Le groupe sucrier entend bien continuer à la développer, lui permettant ainsi de diversifier ses activités.