La recherche sur la jaunisse a connu un sérieux coup d’accélérateur ces derniers jours. Le 18 septembre, après huit années de travaux, le programme Aker a présenté ses résultats. Puis, le 22, l’Inrae et l’ITB ont lancé un Plan national de recherche et innovation (PNRI) de 7 M€ contre la jaunisse pour se passer des néonicotinoïdes. Enfin, le 23, le groupe Deleplanque a annoncé le démarrage de son programme de recherche intitulé Modefy, avec le soutien de trois régions.

Ces annonces montrent que la filière betterave n’attend pas la dérogation sur l’utilisation provisoire des néonicotinoïdes « sans rien faire », comme certains le laissent entendre. D’autant que des travaux ont également été menés au cours des dernières années pour combattre la jaunisse, à l’image des programmes ABCD-B, ExTraPol ou MoCoRiBa… et, bien sûr, Aker.

Collaboration Inrae-ITB

Le Plan national de recherche et innovation, récemment remis au ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, par le P-D.G. de l’Inrae, Philippe Mauguin, et le président de l’ITB, Alexandre Quillet, vise à trouver des « alternatives opérationnelles aux néonicotinoïdes contre la jaunisse de la betterave ». Les deux instituts vont travailler conjointement sur une combinaison de solutions pendant trois ans.

Ces solutions concernent, tout d’abord, l’amélioration du diagnostic et du conseil aux agriculteurs. Il s’agit, par exemple, d’élaborer des outils d’aide à la décision permettant de suivre, en temps réel, les attaques de pucerons et d’anticiper les risques au cours de l’année suivante.

Le deuxième axe a pour but de favoriser les régulations naturelles des pucerons à l’échelle de l’environnement des plantes, des cultures et des paysages. Les chercheurs testeront les espèces végétales ayant un effet répulsif vis-à-vis de ces insectes grâce à leurs composés organiques volatils (COV), de manière à réduire l’attractivité des cultures de betteraves. Ils identifieront également des cultures qui hébergent une forte population d’auxiliaires. Alexandre Quillet, le président de l’ITB, a indiqué, à titre d’exemple, que « les hyménoptères parasitoïdes – des petites guêpes – peuvent pondre leurs œufs à l’intérieur des pucerons ».

Le troisième axe vise à mettre au point de nouveaux aphicides de synthèse et des produits de biocontrôle. Des stimulateurs de défense seront également expérimentés afin de limiter le développement de l’infection virale et de réduire ainsi la propagation des pucerons.

Enfin, les systèmes de défense naturelle seront davantage exploités. Les chercheurs tenteront de trouver de nouvelles sources de résistance, ou exploreront d’autres modalités de réponse des variétés aux virus, notamment en favorisant des mécanismes de vaccination. Ils vont, entre autres, pouvoir s’appuyer sur les avancées déjà obtenues dans le cadre du programme de recherche Aker, qui vient de s’achever après avoir mobilisé, pendant huit ans, une centaine de chercheurs autour de l’amélioration du rendement de la betterave à sucre. « On espère progresser aussi sur des variétés résistantes à la jaunisse, parce que nous avons maintenant un réservoir de diversité génétique. On va pouvoir passer au crible les 3 000 hybrides obtenus par Aker pour rechercher les résistances aux quatre virus de la jaunisse. On peut espérer trouver des choses intéressantes », a déclaré Philippe Mauguin, le P-D.G. de l’Inrae, à l’occasion d’un point presse.

Dès 2021, les expérimentations et les observatoires agronomiques concerneront au moins 500 hectares répartis sur les six régions betteravières françaises. L’allocation d’État sera plus importante que ce qui avait été annoncé le 6 août (5 M€), puisque 7 M€ seront attribués sur trois ans, dont 3,5 M€ à l’ITB, 1,5 M€ à l’Inrae et 2 M€ aux partenaires, notamment les semenciers. « Ce financement public aura un effet levier supérieur à 20 M€ », estime Philippe Mauguin. La filière en assurera, par exemple, un financement direct, via l’ITB, à hauteur de 1,3 M€ par an, soit 3,9 M€ sur la période triennale. La direction scientifique du plan est assurée par l’Inrae, tandis que l’ITB se charge de la gestion opérationnelle.

« Nous sommes très motivés et nous devons absolument trouver une solution pour que la filière soit toujours là en 2024 et au-delà, a insisté Alexandre Quillet. Nous nous engageons également à diffuser les résultats de recherche au cours des trois ans », afin que les agriculteurs puissent disposer d’un panel de solutions avant la date fatidique de 2023.

Deleplanque : trois régions soutiennent le projet Modefy

Le semencier français Deleplanque a lancé officiellement son projet de recherche contre la jaunisse, le 23 septembre, quand Alexandra Dublanche, vice-présidente de la région Île-de-France, est venue confirmer le soutien financier de cette dernière à hauteur de 1,3 million d’euros. Cette annonce permet donc à ce projet (3,8 M€ au total) de démarrer vraiment. Les Hauts-de-France et le Grand-Est devraient participer également au tour de table.

Baptisé Modefy – Monitoring & Defence against Yellow virus –, ce programme sur cinq ans sera réalisé en partenariat avec l’ITB et l’Inrae, avec le soutien de la CGB et des fabricants de sucre. Il avait été décidé et élaboré en 2019, par conséquent avant les fortes attaques de jaunisse de cette année.

Approche multifactorielle

Le semencier a bâti une approche multifactorielle combinant génétique, agronomie et agroécologie, avec six modules, afin de faire le tour de la problématique.

• Le premier module – monitor – sera conduit par l’ITB. Il s’agit d’acquérir des données expérimentales grâce à l’élargissement du réseau de surveillance qui existe déjà – auquel pourraient participer des agriculteurs et les techniciens des sucreries – pour mieux connaître la dynamique de la population de pucerons.

• Le deuxième module – phénotypage – sera piloté par le groupe Deleplanque, qui recherchera la variabilité génétique au sein des collections de betteraves à l’aide de caméras hyperspectrales.

• Le troisième module – Inoculation défense –, dirigé par Deleplanque, vise à mettre au point des techniques d’épandage automatique de pucerons vecteurs de la jaunisse pour les essais des variétés. Cette technique pourrait ensuite être utilisée pour inoculer, dans les champs, des insectes auxiliaires, comme les larves de coccinelles, les chrysopes, voire des araignées !

• Le quatrième module – ressources génétiques et sélection – sera géré conjointement par Deleplanque et l’Inrae pour rechercher des gènes de résistance dans les betteraves sauvages, potagères ou fourragères, ainsi que dans les cardes… et réaliser des introgressions de ces derniers dans les variétés élites.

• Le cinquième module – contrôle biologique – sera mené par l’ITB. L’institut travaillera sur l’aménagement paysager, le développement de cultures susceptibles d’attirer les pucerons et de les dissuader d’aller dans les betteraves, ou qui favoriseraient des auxiliaires bénéfiques.

• Enfin, le dernier module – électropénétrographie – sera sous la direction de l’Inrae de Colmar. Il est assez original, puisqu’il consiste à poser des électrodes sur les pucerons afin d’analyser leur comportement alimentaire.

Les premiers résultats sont attendus pour 2022-2023 et devraient être clos en 2024.

Florimond Desprez : Aker a détecté des betteraves résistantes à la jaunisse

Le projet Aker, initié en 2012 par Florimond Desprez, l’Inrae et l’ITB, a exploré de nouvelles sources de résistance grâce à un élargissement des ressources génétiques (voir le Betteravier Français du 22 septembre, page 7).

Doté d’un budget total de 18,5 M€, dont 5 M€ de l’État, il a permis de renforcer les compétences des acteurs français en génétique de la betterave. Aujourd’hui, les sélectionneurs peuvent se mobiliser très vite sur le criblage des accessions pour identifier des résistances à la jaunisse. « Le développement d’une nouvelle variété de betterave, actuellement autour de douze ans, sera porté à sept ans. Les premiers résultats opérationnels de ce programme sont attendus dans les cinq prochaines années, estime Bruno Desprez, président de Florimond Desprez Veuve & Fils et président du Comité de coordination du programme Aker. Il y a déjà des betteraves qui présentent des caractéristiques de résistance à la jaunisse, mais il faut maintenant vérifier si elles résistent aux quatre virus présents en France. Celui de cette année n’est pas le même que celui de l’année dernière. »

« Il y a eu des progrès, mais nous n’avons pas aujourd’hui la variété pouvant se passer de néonicotinoïdes, ajoute Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture de l’Inrae. Mais Aker nous apporte des éléments méthodologiques. Nous avons remarqué des hybrides intéressants. Les premières variétés issues de ce programme pourraient être disponibles dès les semis 2023. »

Les projets déjà engagés

• Le projet ABCD-B (Écophyto 2018-2021 – subvention de 200 000 €), coordonné par Arvalis et en partenariat avec Terres Inovia, a pour objectif d’évaluer des solutions, de biocontrôle notamment, pour la protection contre les jaunisses virales transmises par les pucerons sur les céréales à paille, le colza et les betteraves.

• Le projet ExTraPol (Casdar AMS 2019-2022 – subvention de 80 000 €), a permis de faire, en 2019, un état des lieux de la structuration des virus présents sur notre territoire.

• Le projet MoCoRiBa (Écophyto, AAP ANR-Maturation, 2020-2023 – subvention de 430 000 €) porte sur la gestion des populations de pucerons sur les grandes cultures à l’échelle territoriale.