« Nous travaillons sur un projet de filière sucre bio locale et équitable depuis quatre ans », expose Stéphane Lemoine, agriculteur biologique à Gouzeaucourt (Nord). L’initiative émane de cinq agriculteurs biologiques, anciens betteraviers conventionnels, qui voulaient continuer à produire de la betterave. « Au départ de notre projet, aucune sucrerie locale n’était intéressée par la production de sucre biologique. Accompagnés par l’association Bio en Hauts-de-France, nous avons réfléchi à la création d’une microsucrerie traitant autour de 100 à 200 t/jour, comme cela existe en Allemagne. » Le coût pourrait avoisiner un bon million d’euros.

Les innovateurs se dirigent vers un process n’utilisant ni diffusion, ni filtrage à la chaux. Ils opteraient pour un écrasage à froid des betteraves et une centrifugation. Ce procédé, qu’ils estiment moins énergivore et moins destructeur que celui utilisé dans les sucreries traditionnelles, donne un sirop foncé. Outre le saccharose, il contient un peu de minéraux et des fibres. De quoi se distinguer du sucre blanc traditionnel… Les entrepreneurs étudient aussi la production de sucre cristallisé. Le prototype de microsucrerie devait être prêt fin 2020. Mais compte tenu des complications engendrées par l’épidémie de la Covid-19, il ne devrait finalement l’être qu’en 2021.

Leur première récolte de betteraves bio date de 2016. Depuis, chaque année, les betteraviers font transformer 50 à 100 tonnes de racines en Allemagne. Le sirop obtenu (20 tonnes en 2020) est ensuite travaillé par des artisans et des entreprises agroalimentaires bio (confiseurs, brasseurs…) des Hauts-de-France. L’un d’entre eux, France Cake Tradition, a reçu un prix lors des Trophées de l’excellence bio 2020 (organisés par le Crédit Agricole et l’Agence bio) pour son pain d’épices à base de sirop.

Un coût de production de 110 €/t

Le groupe de travail sur la création de cette filière sucre bio régionale réunit l’ensemble des acteurs, du producteur au consommateur. Il intègre Biocoop, Synabio, les producteurs bio des Hauts-de-France, ainsi que l’ISA, l’école d’ingénieurs en agroalimentaire de Lille, et le secteur agroalimentaire. Ensemble, ils envisagent d’investir dans un projet coopératif interfilière d’ici à 2021. Outre la volonté de relocaliser l’approvisionnement, ils désirent mettre en place une filière bio labellisée “commerce équitable”.

« Aujourd’hui, nous estimons nos coûts de production à 110-115 €/t, dévoile Stéphane Lemoine. Soit plus que ce que proposent les sucreries françaises. Nous intégrons dans notre marge l’obligation de cultiver en agriculture biologique des plantes à faible valeur ajoutée dans les rotations. La luzerne, par exemple, est incontournable pour désherber et apporter l’azote. Ces productions à faible valeur ajoutée doivent être compensées lors de la vente de produits plus rémunérateurs. Autre coût important, le désherbage manuel, avec plus de 100 heures par hectare. »