Joe Biden ne devrait pas avoir les coudées franches pour mener la politique pour laquelle il a fait campagne, y compris dans le domaine agricole. Le Sénat reste en effet acquis aux Républicains et la Chambre des représentants est majoritairement démocrate. Le nouveau président des États-Unis sera contraint à une cohabitation forcée avec le Sénat, avec lequel il devra négocier chaque projet de loi avant d’espérer le faire adopter.

Par ailleurs, le Farm Bill, négocié sous l’ère Trump, s’appliquera jusqu’en 2023 tandis que les négociations du prochain Farm Bill ne débuteront qu’à la fin de 2021. Aussi, aucun infléchissement « agro-écologique » de la politique agricole américaine n’est à espérer avant au moins deux ans. Et compte tenu des enjeux de souveraineté qu’il soulève, ce prochain Farm Bill défendra, quoi qu’il arrive, les intérêts des farmers et la compétitivité de leur exploitation ; même s’ils ont voté majoritairement en faveur de Donald Trump.

Dans cet esprit, les négociations d’un futur accord commercial transatlantique de libres-échanges (le TAFTA), abandonnées en 2016, ne sont pas prêtes de reprendre. « Les États-Unis veulent intégrer dans ces négociations, les échanges de produits agricoles, alors que la Commission européenne n’en a pas reçu de mandat », rappelle Jean Christophe Debar, spécialiste de la politique agricole américaine et consultant pour Agri US Analyse, qui estime qu’il ne faut pas s’attendre à une révolution sur l’agriculture.

A contrario, « si l’agriculture était finalement intégrée à ces négociations, il est fort possible que cela se fasse au détriment des Européens », affirme Philippe Chalmin, spécialiste des marchés agricoles et coordinateurs du rapport Cyclope sur les matières premières.

De la même façon, Joe Biden, président des États-Unis, risque de ne pas revenir de sitôt sur les sanctions douanières* prises par le bureau du représentant du commerce, à l’encontre des produits agricoles et agroalimentaires français. D’une valeur commerciale de 1,3 milliard de dollars, elles ont été imposées en réponse à l’adoption par la France d’une taxe sur les services numériques. Pour rappel, celle-ci cible les entreprises de technologie numérique américaines.

La dimension politique du bioéthanol

Le sucre n’est pas un marché stratégique. L’Union européenne et la France en particulier n’en exportent pas aux États-Unis. Cependant, le marché du sucre n’a pas manqué de réagir face à l’expansion de la pandémie du Covid-19 et à l’effondrement des cours des hydrocarbures fossiles et du bioéthanol. Le baril de pétrole vaut moins de 40 dollars depuis des semaines !

En revanche, l’organisation de la filière bioéthanol revêt une dimension politique aux États-Unis. L’Agence pour la protection de l’environnement (APE) tente de privilégier les biocarburants de seconde génération aux dépens de ceux issus de produits agricoles, dont le taux d’incorporation n’évolue plus. Or la production de biocarburants de seconde génération peine à décoller et celle issue du maïs stagne, plombée ces derniers mois par la crise économique et sanitaire.
Si Joe Biden rejoint l’accord sur le climat signé à Paris en 2015 en vue d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050 voire 2060, il mandaterait alors l’APE pour augmenter le taux d’incorporation de biocarburants à base de maïs notamment. La filière biocarburant ainsi relancée, la pression exercée à l’export sur le marché européen serait moindre.

Mais aux États-Unis, les états ont le dernier mot puisqu’ils décident eux-mêmes quel sera le taux d’incorporation de biocarburants dans les carburants mis en vente.
Sur ce sujet, la Commission européenne n’a pas attendu le résultat des élections américaines, et la victoire de Joe Biden, pour se prémunir des importations de biocarburants qui ont crû, toutes origines confondues, de 512 % entre 2017 et 2019. « Un règlement européen publié ces derniers jours introduit un mécanisme de surveillance d’importation de bioéthanol », explique Élisabeth Lacoste, directrice de Confédération européenne des planteurs européens (CIBE).

*Ces sanctions sont actuellement suspendues jusqu’au début de 2021.