Un beau matin, en parcourant un parc ornithologique du Sud-Ouest, je remarque un léger frémissement en bordure de joncs. Après une observation à la jumelle, je reconnais deux râles d’eau en plein dialogue amoureux. La femelle picore le cou du mâle (bec un peu plus long), qui, à son tour, l’épouille. Il faut savoir que le râle est d’une prudence extrême. À la moindre alerte, il file comme un rat vers sa forteresse végétale.

Cette fois, de toute évidence, nos deux tourtereaux, occupés par les jeux de l’amour, en oublient d’être méfiants.

J’ai tout le loisir de les épier et – comme la scène se passe à une quinzaine de mètres de moi – de prendre des photos au téléobjectif.

Entrons un peu plus dans l’intimité de l’oiseau. Sa période de nidification court d’avril à juin. Il y a une à deux pontes par an, de six à dix œufs blanc crème, mouchetés de taches sombres. L’incubation, qui dure de 19 à 22 jours, est assurée aussi bien par le mâle que la femelle.

Construit par le couple, le nid, en forme de coupe, est réalisé avec des plantes prélevées dans la végétation dense des rives. Bien caché, il est constitué de feuilles et de tiges d’herbes, et placé un peu au-dessus de l’eau.

Le mâle nourrit la femelle durant la parade nuptiale et pendant la période d’incubation. Celle-ci peut même quitter momentanément le nid pour aller le séduire, l’appelant doucement, frottant son bec contre le sien et lui faisant mille agaceries…

En toute discrétion

De la taille d’une tourterelle, le râle d’eau est reconnaissable aux bandes noires et blanches qui barrent ses flancs et à son très long bec rougeâtre. De loin, il paraît assez sombre, l’adulte ayant un dos brun-roux, tacheté de noir, et un dessous gris bleu ardoisé. Sa courte queue, qui est le plus souvent relevée, dévoile des sous-caudales blanches. Sa gorge et sa poitrine sont bleues. La femelle est un peu plus terne que le mâle.

Ce rallidé se déplace sur ses pattes rouges relativement hautes. Il s’envole rarement, ses ailes courtes ne lui autorisant que de brefs déplacements, et paraît alors très maladroit. Pendant son vol, sa tête et son bec sont inclinés, ses pattes pendantes.

En dehors de la période des amours, le râle d’eau est un solitaire. Discret, il vit caché au cœur des roselières et dans les marais touffus.
Sa méfiance est extraordinaire : le moindre bruit le met en alerte. Il regagne alors rapidement le couvert, en agitant nerveusement la queue et en se faufilant prestement à travers les roseaux, car il est plat comme une limande.

Marais, jonchaies et autres milieux à végétation aquatique au bord des étangs, des lacs, des fleuves et des baies aux eaux peu profondes lui conviennent. Il s’y délecte essentiellement d’insectes et de leurs larves, ainsi que de mollusques. À l’occasion, il peut capturer campagnols, volatiles et amphibiens, pêcher du menu fretin ou encore glaner quelques graines.

Ce chasseur habile est un opportuniste. Il est capable de sauter pour attraper des insectes, de grimper pour atteindre des baies ou se saisir de pommes qu’il pourra manger au sol. Il peut également occire de petits volatiles. On l’a déjà vu tuant un verdier d’Europe dans un parc ornithologique, ou bien des passereaux piégés dans des filets. Il s’en prend aussi aux nids d’autres espèces. Son comportement agressif peut même le conduire à attaquer d’autres rallidés, comme la marouette ponctuée, pour défendre son territoire.

Fantôme du marais, le râle d’eau pourrait échapper à toute détection s’il restait muet. Mais, à la tombée du jour, son cri épouvantable, qui ressemble à celui d’un cochon que l’on égorge, fait sursauter l’observateur. On peine à imaginer que cette plainte qui glace le sang puisse s’échapper du gosier d’un oiseau.

Parmi ses prédateurs, citons le vison, le butor, le hibou des marais et le héron cendré.

Chassable en France

En France, c’est une espèce chassable, comme la poule d’eau ou la foulque. En fait, on ne le giboie pas particulièrement, mais il arrive que le sauvaginier, en prospectant son marais habituel, tombe sur un râle. Celui-ci est si doué pour embrouiller ses pistes que le chien devient fou à vouloir les démêler.

Autrefois, c’était le gibier du débutant, car il est bien difficile de le manquer : il s’envole, le plus souvent, “dans les bottes”.

Il est présent presque partout en Europe, excepté en Scandinavie et en Russie. Certains spécimens peuvent se laisser tenter par la grande aventure lors des migrations automnales et effectuent des voyages considérables. Des oiseaux bagués en Angleterre ont ainsi été retrouvés en Pologne et en Suède.

La population nicheuse européenne est estimée à 160 000 couples.

Le râle d’eau élit domicile dans les jonchaies et les roselières, en compagnie d’autres rallidés aquatiques, comme la marouette ou la poule d’eau, des oiseaux qui, comme lui, n’aiment guère voler. Ils passent le plus clair de leur vie à l’abri des roseaux et lorsqu’ils se hasardent à en sortir, c’est en restant sur le qui-vive !

Au fond, ils appliquent scrupuleusement la devise : « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Et ils s’en portent fort bien…