En tant que président de l’association des planteurs actionnaires majoritaires de Südzucker (SZVG), qui détient 60 % de Südzucker, Hans-Jörg Gebhard est le véritable patron du premier sucrier mondial, et de sa filiale Saint Louis Sucre. Il est agriculteur dans le Bade-Wurtenberg près de Mannheim, où il cultive 50 ha de betteraves.

Dans quel état d’esprit sont les planteurs allemands ?

En général, le moral des agriculteurs n’est pas très positif, comme dans toute l’Europe d’ailleurs. En Allemagne, la situation s’est améliorée avec la dérogation donnée juste avant Noël de pouvoir utiliser les néonicotinoïdes sur un tiers des surfaces. La dérogation a été donnée sur la base d’une analyse des dégâts de jaunisse en 2020. Pour Südzucker, seules trois sucreries ont reçu cette dérogation, mais je suis optimiste pour le maintien des surfaces cette année.

Les dérogations pour utiliser les néonicotinoïdessont-elles assorties de contraintes ?

Oui, toutes les cultures suivant une betterave traitée ne doivent pas être attractives pour les abeilles. Le colza, le maïs et les pommes de terre sont interdits l’année après une betterave, mais pas la deuxième année, contrairement à la France. Nous avons l’impression que les restrictions sont un peu plus fortes en France qu’en Allemagne. Cependant, nous avons d’autres contraintes difficiles à comprendre : par exemple, la première ligne de betterave au bord du champ doit être semée sans néonicotinoïdes et il faut annoncer aux autorités les travaux de semis trois jours avant. C’est très bureaucratique.

Quelle est la santé financière de Südzucker ?

Le groupe est en très bonne forme. Actuellement, les principales activités sont rentables, sauf le sucre. La diversification de notre entreprise nous aide à traverser cette période difficile pour l’activité sucrière. En tant que représentant des planteurs, je défends la production sucrière au sein du groupe Südzucker. Le sucre est le cœur de l’entreprise, c’est un pilier essentiel du groupe, mais il est vrai que nous avons du travail à faire pour améliorer la rentabilité de ce segment, même si nous avons déjà commencé à réduire les coûts de production par des fermetures d’usine en 2019.

Quelle est votre stratégie industrielle dans le secteur sucrier ?

Nous avons l’ambition de produire dans les meilleures zones agricoles européennes et nous concentrons nos ventes exclusivement sur le marché européen. Car nous pensons que la production européenne n’est pas compétitive sur le marché mondial face aux producteurs de sucre de canne. Les raisons sont connues : les coûts du foncier, de l’énergie, du travail… Et les limitations de notre productivité par les ambitions écologiques des pays européens, qui augmentent significativement nos coûts de production. Dans ces conditions, la production pour le marché mondial est impossible.

Combien doit être payé le planteur allemand pour gagner sa vie ?

Nous sommes les actionnaires majoritaires de Südzucker, nous devons donc trouver le bon équilibre entre le revenu des planteurs et celui de l’entreprise. Si l’entreprise fonctionne bien, les résultats sont automatiquement satisfaisants. Je ne vais pas vous donner un chiffre, mais je peux vous dire que la betterave doit être au niveau de la meilleure culture alternative, sinon le planteur ne choisira pas la betterave dans son assolement.

Alors, combien la betterave a-t-elle été payée chez Südzucker en Allemagne en 2020 ?

On connaîtra le chiffre en avril prochain. Mais nous savons déjà que 70 % du prix des betteraves fixé contractuellement sera au moins de 30 €/t, tout compris, pour une richesse de 18 °S, auquel il faut réduire la contribution moyenne des frais de transport qui est 1,5 €/t. Les 30 % restants seront, à mon avis, payés à un prix similaire, peut-être un peu inférieur. (NDLR : 30 €/t à 18°S, converti en betterave à 16°S donne 26 €/t).

La décision de fermer les usines de Cagny et d’Eppeville a été mal vécue par les planteurs français. Quel est votre message aujourd’hui ?

Les fermetures d’usine ne sont jamais un plaisir, où que ce soit. Les fermetures de 2019 ont aussi concerné les planteurs allemands. Elles ont été décidées, car la capacité de production était trop importante en Europe. Et elle l’est encore aujourd’hui. C’est pourquoi la production doit être concentrée dans les meilleures zones agricoles et sur les marchés les plus porteurs. C’est le cas des sucreries de Roye et d’Etrépagny qui sont significativement renforcées par cette restructuration. Saint Louis Sucre peut désormais produire et vendre du sucre de manière rentable. Pour avoir un avenir fructueux, il faut que les relations soient basées sur la raison et la confiance.

Est-ce que cette relation peut passer par des organisations de producteurs ?

Je sais que des planteurs français veulent créer des OP. En Allemagne, nous avons d’autres structures. L’histoire de la France est différente de celle de l’Allemagne, c’est pourquoi nous ne voulons pas transférer nos conceptions à la France. Les meilleures solutions pour la France doivent être discutées et trouvées en France. Il est important que les planteurs des usines de Roye et d’Etrépagny soient représentés par des organisations bien représentatives.

Südzucker est le groupe qui a fermé le plus d’usines après la fin des quotas. Pensez-vous avoir fait le bon choix ?

Nous avons fait le premier pas dans la restructuration européenne. Les autres groupes ont réagi faiblement jusqu’à aujourd’hui. Mais, selon moi, le processus n’est pas terminé. Vu la consommation de sucre qui se réduit, une adaptation des structures est inévitable, et ce n’est pas Südzucker qui fera le prochain pas. C’est aux autres de le faire. Si personne ne bouge, je reste néanmoins confiant car notre diversification nous donne des moyens financiers suffisants pour passer cette crise tout en restant profitables. La perte pour le secteur sucre européen sera néanmoins immense si les sucriers n’adaptent pas leur production par rapport à la consommation qui diminue.

Où voyez-vous les prochaines restructurations ?

Il faut éliminer les éléments très distorsifs que sont les paiements couplés dans certains pays européens. Ces distorsions sont très désavantageuses pour les deux grands pays producteurs – la France et l’Allemagne – et il semble malheureusement que la volonté politique pour les éliminer ne soit pas là. Je pense pourtant qu’il est déraisonnable de maintenir artificiellement des productions non compétitives dans ces régions. Je suis convaincu que la production polonaise peut survivre sans les paiements couplés, car c’est un pays très productif. Nous attendons que les restructurations se fassent dans le Sud, le Nord et l’extrême est de l’Europe.

Donc pas en France, car nous sommes à l’Ouest !

Je ne veux pas commenter la politique française. Mais il est clair qu’il y a aussi des choses à faire en France.