La France peut pousser un « cocorico » de satisfaction. Selon plusieurs experts scientifiques réunis lors d’un webinaire organisé par l’Association française des journalistes de l’agriculture et de l’alimentation (Afja) le 15 avril, l’hexagone peut se vanter d’avoir des sols agricoles relativement en bonne santé. « Nos sols ont certaines difficultés mais il n’y a pas de dégradations irrémédiables », estime Francis Bucaille, agriculteur et auteur du livre « Revitaliser les sols », aux éditions Dunod. Pour lui, « si certains sols sont égratignés, leur fertilité peut être restaurée rapidement sur une période allant de 2 à 5 ans ». Ce n’est pas le cas dans certains pays de l’est de l’Europe, où il y a eu beaucoup de dégradations depuis les années 90. Leur prise de conscience est plus tardive. En France, le changement des mentalités semble réel. « Jusqu’aux années 2010, le sol n’était pas au centre des préoccupations. Depuis, beaucoup d’agriculteurs ont compris que le sol est un outil à part entière pour leurs cultures et qu’il faut le préserver », affirme Bertrand Deloste, ingénieur projet innovations fertilité des sols chez Agro-Transfert dans les Hauts-de-France. Le retrait de nombreuses molécules ces dernières années et les impasses techniques ont accéléré cette évolution.
Certaines pratiques agricoles en cause
Mais certains sols sont pourtant en moins bonne santé. « Les pratiques agricoles excessives ont eu des conséquences. Aujourd’hui, il faut raisonner sur le travail du sol et l’utilisation d’intrants en fonction des conditions pédoclimatiques et agronomiques », souligne Céline Pelosi, agro-écologue spécialisée dans les sols, chargée de recherche à l’Inrae Provence-Alpes Côte d’Azur. Un avis partagé par Francis Bucaille : « les fongicides comme les SDHI ont des impacts majeurs sur la microbiologie du sol en déséquilibrant bactéries et champignons. Cela a des répercussions négatives sur les taux d’humus et du stockage du carbone », poursuit l’agriculteur, également cofondateur de la société Gaïago, spécialisée dans le diagnostic agronomique et la revitalisation des sols.
La mécanisation a également un impact. « Nous nous sommes rendu compte que de nombreuses parcelles étaient tassées, parfois de façon profonde. Cela a des conséquences négatives sur l’oxygénation du sol et l’infiltration de l’eau, l’enracinement des cultures et la biologie », détaille Bertrand Deloste. Les problèmes sont surtout présents sur les tassements profonds. « Les chantiers sont de plus en plus lourds avec des machines de 60 tonnes pour l’arrachage des betteraves. Même si les constructeurs font des efforts avec des pneus larges et à basse pression, les machines ont un impact. Sur un sol avec très peu d’argile, un tassement profond peut se retrouver 20 à 30 ans plus tard », poursuit-il.
Remettre de la vie
Des solutions existent. L’agriculture de conservation est souvent citée pour améliorer la santé des sols. Mais pas seulement. « Pour remettre de la vie, il faut changer les pratiques et réintroduire de la ressource pour les organismes du sol. Avec le développement des cultures alternatives, les rotations se sont allongées. Certaines cultures vont favoriser la régénération, la vie du sol, comme les couverts intermédiaires, les légumineuses et les apports organiques », détaille Céline Pelosi, qui travaille sur la réintroduction de vers de terre dans les sols. « On a souvent tendance à penser que la suppression des produits phytosanitaires est suffisante pour tout remettre en état. Mais pas toujours. Un diagnostic est indispensable. Il faut restituer au sol des matières pour faire du biomimétisme, avec des pailles, des feuilles mortes ou des herbes non broutées. Des prébiotiques peuvent aussi permettre à certains champignons et spores endormis de se réveiller », insiste Francis Bucaille. Selon lui, « dans 95 % des sols, réinoculer ne sert à rien, il suffit de donner les bons signaux ».
L’Inrae et le forum Planet A de Châlons-en-Champagne (Marne) ont annoncé le 9 avril la création du premier indicateur mondial d’évolution du stock de carbone dans les sols agricoles. L’Inrae a mis en évidence un lien direct entre durée annuelle de couverture végétale des sols cultivés et accumulation de carbone pour les grandes cultures en Europe. C’est sur cette base que repose le projet d’indicateur. Les premiers résultats observés à l’échelle nationale seront dévoilés courant 2021. L’indicateur baptisé « Soccrop » devrait être mis à disposition des acteurs du monde agricole au début de l’année 2022. Les fondateurs estiment qu’il sera possible « d’observer dans quelles régions du monde l’augmentation de la durée de couverture végétale des sols cultivés se développe ou régresse. En complétant cet indicateur par des données sur les pratiques agricoles, il sera possible d’obtenir un tableau de bord mondial sur l’évolution des stocks de carbone dans les sols agricoles ».