Le 23 septembre 2021 sera une date importante dans la lutte contre la jaunisse virale, puisque les obtenteurs viennent de monter à bord du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) qui a été lancé l’an dernier pour trouver des solutions opérationnelles contre la jaunisse. Ce jour-là, deux projets – Flavie et Probeet – ont été présentés lors du conseil de surveillance du PNRI. La génétique va donc intégrer ce plan doté d’un financement public de 7 M€ sur 3 ans, pour un montant global de recherches supérieur à 20 M€ avec des cofinancements de l’Inrae, de l’ITB et de nombreux acteurs privés (voir BF 1134 p.18)

Les semenciers sont confiants et anticipent de pouvoir contribuer significativement à la lutte contre la jaunisse en utilisant le levier génétique, comme cela a été fait avec succès dans le passé contre la rhizomanie, les nématodes, le rhizoctone brun et la cercosporiose. Des défis qui ont tous été gagnés par le progrès génétique… La jaunisse ne devrait pas faire exception !

Flavie : cinq semenciers s’unissent contre la jaunisse

« De mémoire de semencier, on n’a pas d’expérience aussi avancée dans une collaboration entre différents concurrents », ont expliqué de concert les représentants des cinq semenciers, lors d’une rencontre exclusive avec le Betteravier français, le 29 septembre dernier. Patrick Mariotte (KWS), Bruno Dequiedt (SESvanderHave), François Desprez (Florimond Desprez), Éric Dubert (Maribo) et Benoît Rose (Betaseed) avaient tenu à présenter le projet Flavie, qualifié de « projet collaboratif inédit à la hauteur de l’enjeu pour la filière betterave française ».

En effet, la France est un des pays d’Europe les plus touchés par la jaunisse, avec aussi peut-être la Grande-Bretagne et la Belgique. Mais pour les autres pays, plutôt mobilisés par la cercosporiose, l’impact de cette maladie virale reste mineur. « La jaunisse est un sujet essentiellement franco-français », résume Bruno Dequiedt, directeur général de SESVanderHave France. Trouver des gènes de résistance pour la jaunisse est donc un facteur de compétitivité pour la filière betteravière française. « Il y a un désavantage compétitif sur ce sujet par rapport aux grands pays concurrents, que sont l’Allemagne et la Pologne en particulier », pointe François Desprez, P.-D.G. de Florimond Desprez.

Un projet focalisé sur la génétique

Flavie est un projet focalisé sur les solutions génétiques. « Nous avons bâti ce projet il y a un an, et il a été véritablement lancé ce printemps », explique Bruno Dequiedt.

Au-delà des travaux de sélection entrepris par chaque obtenteur, depuis quelques années, sur la jaunisse, le projet Flavie met en commun les expertises de chacun et rassemble donc « une capacité expérimentale hors du commun », selon Patrick Mariotte, directeur général de KWS France.

« Nos responsables scientifiques en Allemagne, en Belgique et au Danemark ont tout de suite adhéré à cette idée. Tout le monde convient qu’une collaboration est nécessaire pour faire face à ce fléau », dévoile François Desprez.

« Face à un enjeu inédit comme la jaunisse, travailler ensemble a été une évidence pour aller plus vite, car le délai pour trouver des variétés tolérantes – deux ans – est très court », ajoute Benoît Rose, directeur commercial Europe de Betaseed. « Et puis, nous sommes face à trois virus », rappelle Éric Dubert, directeur des activités betteraves de Maribo. « Notre défi scientifique est de trouver une méthode pour bien analyser nos hybrides dans des expérimentations communes ».

Coordination scientifique

Les cinq semenciers ont mis en place une gouvernance qui repose sur deux comités : le comité stratégique et le comité de coordination scientifique. Le premier définit les grands objectifs du projet, gère la contractualisation entre les cinq membres et la propriété intellectuelle. Le comité de coordination scientifique est en charge de l’opérationnel (les essais et l’élevage des pucerons…) et de la gestion budgétaire. Des responsables des cinq entreprises sont présents dans chaque comité.

Le budget du programme Flavie est de 5 M€ sur trois ans, financé à parts égales par chacun des cinq obtenteurs. La labellisation par le PNRI devrait apporter un financement supplémentaire, mais aussi une reconnaissance de la communauté scientifique et de l’État.

Phénotypage à grande échelle

Le projet Flavie s’est donné pour mission de traquer les principaux virus responsables de la jaunisse, d’affiner les méthodes d’inoculation artificielle et de sélectionner les meilleurs protocoles de phénotypage (l’analyse des caractères des plantes) pour sélectionner les betteraves. « Nous avons mis en place une capacité expérimentale très importante, et les nombreux essais permettront de récolter des données robustes », explique Bruno Dequiedt.

Dès le printemps 2021, les partenaires du projet Flavie ont mis en place six sites expérimentaux sous contamination artificielle en France. Chaque site est composé de quatre modalités : trois en inoculation artificielle et un sans inoculation. Les inoculations ont été effectuées en utilisant le puceron vecteur Myzus persicae avec chacun des trois virus majoritairement présents en France : le BMYV (Beet Mild Yellowing Virus), le BChV (Beet Chlorosis Virus) et le BYV (Beet Yellows Virus).

Les parcelles font l’objet de notations (couleur des feuilles), de prélèvements et d’analyses virales. Puis elles sont récoltées pour déterminer le rendement. La sélection se fait sur chacun des virus séparément.

Cette année, Flavie teste une cinquantaine d’hybrides. Le plus gros travail consiste à produire des pucerons portant chacun un des trois virus. La méthodologie mise au point par le comité de coordination scientifique de Flavie permet de discriminer les génétiques quant à leur comportement en présence de ces trois virus.

« Chaque obtenteur est responsable de la production d’un virus. Nous nous coordonnons ensuite pour déterminer la date de l’inoculation des plantes », détaille Éric Dubert. « C’est un travail coûteux et complexe ; il faut que le puceron posé sur chaque plant de betterave soit bien porteur du bon virus », ajoute Bruno Dequiedt.

Après cette année de rodage, Flavie va changer d’échelle pour les années 2022 et 2023, puisque la recherche sera déployée sur huit sites expérimentaux et permettra, par la mise en place de 64 000 microparcelles, de caractériser au moins 1 000 hybrides.

L’investissement est donc conséquent pour tous les sélectionneurs. « La jaunisse représente environ 20 % de notre effort de recherche. C’est un objectif majeur pour les années à venir, il y va de la survie de la betterave en France », déclare François Desprez.

Le programme Flavie va aider les cinq semenciers à sélectionner et à analyser les meilleurs hybrides de façon à être plus efficaces dans leur programme de recherche. Ce qui ne va pas empêcher les compétiteurs de se battre pour mettre la meilleure variété sur le marché !

Probeet va tester les nouveaux hybrides de Deleplanque

Avec le programme Probeet, présenté au conseil de surveillance du PNRI le 23 septembre, Deleplanque complète son projet Modefy, qui propose une approche multifactorielle combinant génétique, biologie et agroécologie (voir BF 1132 p 23).

Probeet va s’attacher à comprendre le lien entre les symptômes de la jaunisse virale et la prolifération du virus dans la betterave sucrière. Concrètement, il s’agit d’établir une corrélation entre la couleur des feuilles (jaune ou verte), la charge virale dans la plante et le rendement final. « Aujourd’hui, il n’est pas certain que des feuilles vertes soient synonymes d’absence de charge virale. On peut trouver des betteraves asymptomatiques », explique Laurent Boisroux, directeur agronomie de la société Deleplanque. Probeet va mettre au point un outil de screening permettant de juger les betteraves en couplant des analyses de feuilles grâce à une caméra hyperspectrale, à des tests Elisa pour confirmer la présence des 3 virus les plus présents en Europe et à des tests PCR pour voir lequel des virus est impliqué (BYV, BMYV ou BChV). Le but est de pouvoir choisir le plus vite possible les meilleurs hybrides, sans passer par la récolte des essais.

Le projet Probeet, doté d’un budget de 300 000 €, vient compléter Modefy (3,6 M€, dont 1,3 M€ financé par la région Île-de-France et 0,35 M€ par la région Grand Est). Le projet est prévu pour 24 mois de mars 2022 à mars 2024.

Probeet travaille donc sur le même sujet que Flavie. Alors pourquoi n’y a-t-il pas qu’un seul projet réunissant les six semenciers présents en France ? La principale explication vient du calendrier. Le programme Modefy a en effet été mis en place en 2019, avant l’explosion de la jaunisse en 2020. Ayant débuté à des périodes différentes, les deux programmes n’ont pu être fusionnés. Mais cela ne veut pas dire que certains résultats ne pourront pas profiter à tous les semenciers. « Nous allons mettre à disposition, dans le cadre d’un accord de licence, nos résultats de recherche, y compris notre germplasm et les algorithmes que nous aurons mis au point », déclare Laurent Boisroux. « Pour la survie de la filière, on ne peut pas imaginer qu’un semencier puisse garder pour lui-même des techniques nécessaires au maintien de la filière française, en partie financées par des fonds publics ».