Si la France est aujourd’hui encore le premier producteur européen de betteraves à sucre, c’est un peu à cause des Anglais. Durant le règne de Napoléon 1er, de 1804 à 1815, celui-ci s’est livré à de nombreux conflits internationaux, allant jusqu’à instituer un blocus continental en 1806, qui aura des conséquences pour l’Angleterre, bloquée à tous les ports du continent, mais aussi pour la France, qui se retrouve privée de sucre.

L’idée que l’on pouvait extraire du sucre de la betterave avait été amorcée en 1745 par Andreas Sigismund Marggraf, un chimiste allemand. Mais c’est en 1810, lorsque le chercheur François Thierry présente ses travaux, que le destin des betteraves sucrées va prendre un tout autre tournant. Ses échantillons sont adressés au ministre de l’Intérieur Montalivet, qui lui accorde une gratification financière. Le pharmacien Deyeux lui a emboîté le pas, et a lui-même présenté ses résultats, qui ne lui ont attiré que des louanges.

Montalivet adresse en 1811 un rapport à l’Empereur, dans lequel il vante les mérites de la betterave, et y mentionne uniquement le travail de Deyeux, avec lequel il se présentera le jour-même devant Napoléon pour lui proposer deux pains de sucre.

Suite à cette dégustation, l’Empereur, dont la réaction a été jugée tardive, en perçoit l’enjeu économique, voire politique, et va lancer sa propre propagande.

Campagne publicitaire

C’est au travers du journal Le moniteur universel que Napoléon fait sa promotion : on y retrouve des résultats mettant en valeur la betterave sucrière, indiquant qu’elle contiendrait jusqu’à 70 % de sucre. Or, en réalité, la betterave n’en contient que 5 %. De plus, les méthodes de récolte ne sont pas vérifiées, et par conséquent l’article promet une récolte plus riche en sucre après l’arrachage de la betterave, alors que c’est l’inverse qui se produit.

Sans s’être au préalable suffisamment informé sur les questions agronomiques, l’Empereur ordonne, via le décret du 25 mars 1811, que 32 000 hectares soient consacrés à la culture de la betterave.

Une première campagne décevante

Les résultats ne seront pas à la hauteur des souhaits du gouvernement : seuls 39 % de l’objectif ont été atteints. Avec des conditions climatiques préjudiciables, la culture était déjà mal engagée. De plus, peu de moyens ont été déployés pour traiter et extraire le sucre, d’autant que le nombre de fabriques et de personnel était trop faible pour atteindre les objectifs trop ambitieux de l’Empereur.

Mais, pour ne pas perdre la face, l’Empereur, après avoir fustigé Montalivet et l’avoir tenu pour responsable de cette faible récolte, exige qu’un nouveau rapport soit publié par Le moniteur universel. Ce rapport reprend uniquement les statistiques des hectares de betteraves, et non la production du sucre qui en est ressortie.

L’arrivée de Chaptal

Le chimiste Chaptal succèdera à Montalivet pour mener à bien cette campagne aux allures de plus en plus politiques. Ne disposant que de quelques jours pour convaincre l’Empereur qu’il a fait le bon choix, Chaptal va se rapprocher de Benjamin Delessert, un officier d’artillerie devenu membre de la chambre de commerce en 1804. Cet homme d’affaires, avec son savoir-faire, va aider Chaptal à se valoriser auprès de Napoléon. L’Empereur décernera par la suite sa propre légion d’honneur à Benjamin Delessert, admiratif de son travail.

Ne souhaitant pas en rester là, un nouveau décret sera rédigé le 15 janvier 1812, par lequel l’Empereur exige l’ensemencement de 10 000 hectares, ainsi que la construction de quatre fabriques impériales et de cinq écoles spécialisées en chimie, pour la production de sucre.

Vu le précédent échec, les cultivateurs se montrent réticents ; seul un huitième de l’objectif sera atteint.

Après des exigences plus que rocambolesques et des tentatives d’amadouer les cultivateurs, cette course à la plantation de betterave a été victime d’une grande impréparation. Mais elle illustre parfaitement le volontarisme politique de Napoléon.

Napoléon a certes perdu la bataille du sucre, mais pas la guerre, puisque cette épopée marque le début de 200 ans de culture de la betterave en France !

L’agriculture pour soutenir l’effort de guerre

L’effort napoléonien, comme l’écrit Jean-Michel Besancenot, membre de l’Académie d’Agriculture, se porte sur l’agriculture, les moutons et les chevaux, mais avec d’autres enjeux. L’Empereur a pour objectif de vêtir les membres de l’armée, ainsi que d’assurer leur transport.

En effet, en amplifiant la « mérinisation », c’est-à-dire en favorisant l’import des troupes de mérinos, des moutons venant d’Espagne, Napoléon vise à améliorer la qualité de la laine française. Il va ainsi créer des bergeries impériales, de « véritables sanctuaires dédiés aux mérinos ». Avec une vision exponentielle, il va rédiger un décret impérial afin d’améliorer les rendements, en croisant les béliers avec les mérinos : « l’Espagne a 25 millions de moutons, j’en veux 100 millions ! », aurait-il dit.

Il en va de même pour les chevaux, outil indispensable à l’époque pour les travaux de champs, mais aussi pour se déplacer. Il va augmenter les effectifs avec un regard attentif, positif sur les maîtres de poste qui jouent un rôle essentiel dans cette production : au moins 100 000 chevaux seront mobilisés pour l’armée.

On peut prendre note d’un effort national pour développer le secteur agricole, qui va être freiné par un manque de main d’œuvre et de moyens, ainsi qu’un rythme de guerre qui ne cesse de perdurer.