Arnaud Delacour, président du Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT)

Avez-vous des craintes sur l’application de la nouvelle loi Egalim dans la filière ?

Oui, notamment vis-à-vis de la grande distribution. Elle ne joue pas le jeu sur la prise en compte des hausses de coûts de production. La loi Egalim 2 doit s’appliquer dans la filière industrie en 2023. Le concept est intéressant, mais de façon pragmatique elle sera difficile à mettre en place. Elle ne s’applique qu’aux industriels intervenant sur le marché français dans le cadre de la contractualisation. La distribution ne va pas se priver de s’approvisionner ailleurs si elle trouve moins cher. Il faudrait qu’il existe un « Name and shame » pour dénoncer les distributeurs qui contournent la loi.

Comment voyez-vous son application ?

Nous avons une organisation forte dans la filière, avec un taux de contractualisation de plus de 75 %. Nous souhaitons garder cette organisation actuelle qui fonctionne bien. Nous allons donc demander à déroger à la contractualisation pluriannuelle obligatoire, dans le cadre de nos accords interprofessionnels. Nous allons signer deux nouveaux accords en mars, dont on demandera l’extension au ministère de l’Agriculture pour une application dès la prochaine campagne. Nous allons sans doute aussi devoir renforcer nos indicateurs de filière pour coller à la demande encore plus précise des producteurs et des industriels.

Quel impact le plan pollinisateurs risque-t-il d’avoir sur la filière ?

Pour l’instant, la pomme de terre a été classée comme plante faiblement attractive. C’est un vrai scandale. Nous sommes toujours en cours de discussion pour revoir cette position grâce aux résultats apportés par Arvalis, notre institut technique. Scientifiquement, il n’y a pas de raison que la pomme de terre soit classée de cette manière.

L’enjeu est important pour les producteurs car les contraintes sont énormes en termes d’organisation du travail et des conditions de travail des salariés. Cela risque de créer plus de suspicion à l’égard du monde agricole que de répondre à des interrogations. À ce jour, le plan pollinisateurs tel qu’il est envisagé est suicidaire pour la filière pommes de terre.

Comment voyez-vous l’impact de la réforme de la PAC sur la filière ?

L’objectif pour les producteurs va être de pouvoir être bénéficiaire de l’aide financière associée aux éco-schémas. Les conditions établies dans le PSN ne nous favorisent pas mais, d’une manière ou d’une autre, les producteurs vont devoir s’arranger pour bénéficier de cette aide qui représentera entre 50 et 80 € de l’hectare. La France a fortement orienté son PSN sur l’environnement et la décarbonation de l’agriculture, tandis que d’autres pays, comme l’Allemagne, ont porté leurs efforts sur la modernisation de leurs outils de production, avec le numérique et la performance des exploitations. Nos choix français vont nous poser un problème de compétitivité sur le marché européen. Avec toutes les contraintes qui s’ajoutent, les producteurs risquent de s’orienter vers d’autres cultures. Les industriels auront du mal à s’approvisionner en France et cela va conforter leur choix de s’installer à l’étranger.

Le maintien de l’aide couplée en fécule est en revanche une bonne chose mais elle sera insuffisante par rapport aux difficultés actuelles.

Comment va la filière fécule en France justement ?

La filière a été victime d’un effet ciseau à cause du Covid. Il y a eu une baisse de la demande de fécule durant les confinements. Ajouté à cela, nos voisins allemands et néerlandais ont fait passer des pommes de terre d’industrie vers la filière fécule. Cela a entraîné une surproduction qui s’est ajoutée à une baisse de la demande. En 2021, on s’est retrouvé avec un marché déprimé et surstocké. Cela s’est traduit par un effondrement des cours. La fécule de pomme de terre a atteint le même prix que l’amidon de maïs. Beaucoup de producteurs ont décidé d’arrêter la fécule. On a perdu 14 % des producteurs et on craint qu’en 2022, cela continue. La filière fécule représente 1 million de tonnes en moyenne de production en France, soit un cinquième de ce qui est consommé au total en pommes de terre en France. C’est important. Cette filière a de nombreux débouchés d’avenir. Les plus gros utilisateurs sont la cartonnerie, l’industrie pharmaceutique, l’agroalimentaire pour les protéines alimentaires et l’industrie du plastique bio-sourcé. Le problème c’est que l’on n’a pas des prix suffisants en face pour intéresser les producteurs. Nous avons besoin de les accompagner de façon transitoire.

Nous avons aussi espoir que la pomme de terre de fécule puisse entrer dans le dispositif protéines de la PAC pour bénéficier d’une aide complémentaire. Nous sommes en négociation avec le ministère.

Que pensez-vous des dispositifs prévus par le Varenne de l’eau ?

Nous sommes d’accord pour travailler à l’adaptation au changement climatique. Nous avons signé la charte. Nous collaborons avec Arvalis et les obtenteurs sur l’ensemble de l’adaptation au changement climatique. Mais cela va prendre du temps et coûtera de l’argent.

Sur l’irrigation, l’harmonisation des seuils de crise telle qu’elle est prévue est déconnectée de la réalité. Jusqu’à aujourd’hui, il y avait une vision territoriale liée aux bassins versants. Là, on est dans une harmonisation nationale. Cela n’a pas de sens. On ne peut pas gérer tous les territoires de la même façon. Les seuils de crise sont très bas et il y aura des restrictions d’irrigation presque tout le temps pour les producteurs. Cela va être une nouvelle contrainte pour les agriculteurs qui vont moins s’engager et à terme, provoquer des difficultés d’approvisionnement pour les industriels.