Jusqu’à la veille de l’entrée des chars russes en Ukraine, la campagne de commercialisation s’était poursuivie avec des prix de céréales stabilisés à des niveaux élevés depuis quinze jours, sur les marchés physiques. La crise ukrainienne était dans tous les esprits mais « sur le plan logistique, aucune perturbation des expéditions n’avait été signalée dans la région de la mer Noire, malgré les tensions géopolitiques persistantes », a souligné le Conseil international des céréales (CIC) dans son rapport publié le 17 février dernier.

En fait, les cours des céréales varieront dans les prochaines semaines sous l’influence des conditions climatiques qui règneront en Amérique et sur le reste de la planète, mais surtout selon la tournure que prendra le conflit armé en Ukraine. À Rouen, le prix de la tonne de blé a bondi de 8 euros en vingt-quatre heures (284 € le 24 février). Et depuis le 17 février dernier, lorsque la crainte d’une intervention militaire se profilait, le cours de la tonne de blé sur le marché à terme Euronext a bondi près de 30 € – échéance mai 2022.

En France, l’état des cultures de blé et d’orges d’hiver à la sortie de l’hiver est très bon et bon à 95 %. Mais aux États-Unis, il est encore difficile de se prononcer sur les champs de blé semés à l’ouest du pays, où le climat est très froid et rigoureux.

Cependant, le CIC table toujours sur une production mondiale de blé de 791 millions de tonnes (Mt), au vu des superficies de blé emblavées dans le monde (229 millions d’hectares). Autrement dit, 10 Mt de plus de blé en plus seraient ainsi produites.

Pour le maïs (1 203 Mt ; – 4 Mt sur un mois), le CIC prend en compte dans sa dernière prévision les impacts des fortes chaleurs qui s’abattent en Argentine et du retour, sous une forme atténuée, de La Niña au Brésil.

Menace sur les engrais

Cependant, les agriculteurs disposeront-ils de suffisamment d’engrais pour fertiliser leurs cultures dans les prochains mois? Jusque-là, leurs prix augmentaient mais l’approvisionnement des marchés n’était pas remis en cause. Si la crise ukrainienne s’envenime, le conflit s’étendra sur l’ensemble des marchés des fertilisants.

Or, la Russie et son alliée, la Biélorussie, font partie du cercle restreint des pays exportateurs d’engrais de la planète. La Russie occupe une part importante des marchés intermédiaires et finis des engrais azotés. Et plus de 40 % des exportations mondiales de potasse sont biélorusses et russes.

Si les expéditions de fertilisants depuis ces pays sont rendues impossibles pour des raisons logistiques, politiques (embargo) ou financières (échanges commerciaux en dollars et accès au réseau swift interdits), aucun autre pays producteur et exportateur d’engrais de la planète ne sera alors en mesure de prendre le relais.

Outre la question de l’approvisionnement en engrais, la crise ukrainienne menace aussi l’approvisionnement des pays occidentaux en hydrocarbures fossiles russes avec, à la clé, une nouvelle flambée de leurs prix et de ceux des engrais azotés.

Or, une simple baisse de la consommation d’azote de 30 U/ha de blé dans les pays exportateurs réduirait de 10 Mt les productions des principaux pays producteurs exportateurs. Et aucun d’eux ne dispose de stocks de report de plusieurs dizaines de millions de tonnes de blé suffisants pour compenser, sans dommages, un repli important de leur production si l’approvisionnement en engrais venait à manquer. De plus, les capacités d’exportation de ces pays seraient sacrifiées.

Comme la France vend habituellement la moitié de ses céréales, notre pays dispose d’une marge importante pour pallier toute baisse de sa production. Mais ses voisins européens et les pays tiers importateurs devront trouver des solutions alternatives pour s’approvisionner.

L’Union européenne achèverait alors la campagne 2022-2023 avec des stocks en net repli. Or, ces derniers (13 Mt) sont justes suffisants pour assurer la transition entre deux campagnes.