Son annonce par un communiqué de presse du port de Rouen, le 17 mars dernier, a fait grand bruit. Pour rappel, les chiffres sont hors nomes : la méga sucrerie devrait avaler 35 000 tonnes de betteraves par jour pour produire entre 650 000 et 850 000 t de sucre par an destinées à l’export (Maghreb, Italie, Espagne, Royaume-Uni). La Normandie devrait fournir autour de 5 Mt de betteraves, soit environ 50 000 à 60 000 ha !

Le groupe de Dubaï AKS (Al Khaleej Sugar), qui porte le projet, opère déjà sur deux sites de production : la raffinerie de Dubaï, réputée comme la plus grande du monde avec une capacité de raffinage de 2,4 Mt, et une sucrerie au sud de l’Egypte (800 000 à 900 000 t de sucre par an, à partir de betteraves), qui vient d’être terminée et qui sera opérationnelle d’ici un mois.

Depuis la fin des années 2010, AKS cherche à s’implanter en Europe. Le projet est de reproduire quasiment à l’identique le projet égyptien, pour un montant d’environ 500 M€, dont 150 M€ en fond propre. AKS a d’abord tenté de construire une sucrerie au Royaume-Uni mais, faute de soutien politique et face à l’opposition des riverains, le projet anglais a capoté. Il s’est ensuite intéressé à l’Espagne, avec le soutien du gouvernement qui était prêt à mettre 120 M€ dans le projet, mais les banques n’auraient pas suivi et le dossier est donc en suspens. Néanmoins, ce projet est toujours annoncé sur le site internet du groupe AKS.

Un projet sérieux

La CGB Normandie a rencontré les dirigeants du groupe AKS le 25 mars, pour étudier ce projet qu’elle considère comme sérieux. « Après la fermeture de l’usine de Cagny dans le Calvados, il faut regarder ce nouveau projet en Normandie avant de juger, explique le président de la CGB Eure, Alexandre Quillet. Ce projet bénéficie d’un soutien politique de la Région, de l’agglomération rouennaise et du préfet de région. D’ailleurs, nous voulons aussi un soutien identique pour notre filière existante. C’est un projet ambitieux, mais il reste un certain nombre de points d’interrogation ».

Où trouver les 50 000 ha de betteraves, en plus des surfaces actuelles de la sucrerie de Fontaine-le-Dun (située à 70 km) et d’Étrépagny (à 55 km), sans mettre ces deux sucreries en péril ? Cristal Union s’est ouvertement inquiété pour l’approvisionnement de sa sucrerie normande, lors des différentes assemblées générales de section.

Il faudra également résoudre le défi logistique d’acheminer à Rouen les 35 000 tonnes de betteraves par jour. « Il y a encore beaucoup de points techniques à instruire et des autorisations à obtenir, convient le délégué interministériel pour la filière sucre, Henri Havard. J’attends également que les responsables agricoles étudient les effets indirects sur d’autres productions, notamment l’élevage. On cherche aussi une cohérence avec l’objectif du gouvernement de réindustrialiser le pays ».

La CGB se positionne comme un interlocuteur privilégié avec AKS, pour étudier un schéma d’approvisionnement cohérent avec les sucreries existantes, qui soit dans la construction de la contractualisation avec les planteurs. « La CGB est là pour défendre le revenu des planteurs de betteraves, rappelle le président Franck Sander. On ne peut pas se permettre de ne pas analyser ce projet, car si le dossier reste bloqué en France, le groupe AKS ira regarder ailleurs en Europe ».

L’ouverture est programmée en 2025. La décision devrait donc être prise en 2023. Cela laisse 12 mois pour poser toutes les questions et obtenir les réponses.

Profil du groupe AKS

Al Khaleej Sugar (AKS) est dirigé par Jamal Al-Ghurair, membre de la famille dubaïote Al-Ghurair, propriétaire de Al-Ghurair Group. Il s’agit d’un groupe industriel très diversifié, allant de la pétrochimie à l’hôtellerie, le gypse, la porcelaine, le plâtre et le transport.