La géopolitique arbitre la campagne commerciale des céréales. À Rouen, le 12 septembre dernier, le prix de la tonne de blé tendre (343 €/t) avait augmenté de 20 € en deux séances. Depuis quelques jours, la place de marché réagit, comme les autres dans le monde, au rythme des menaces brandies par Vladimir Poutine de ne pas reconduire l’accord sur les corridors de la mer Noire au mois de novembre prochain. Au forum de l’Est, à Vladivostok (Russie), il a affirmé que les céréales expédiées depuis les ports ukrainiens approvisionnent les pays occidentaux et non pas les pays les plus pauvres, africains notamment.

Ukrainagroconsulting (UAC) s’est empressé de démentir ses propos : « environ 64 % des 2 Mt céréales et d’oléagineux embarquées ont été expédiées vers les pays asiatiques et africains ». Sur les 527 000 t de blé exportées, plus de 450 000 t ont été livrées en Turquie, en Égypte et sur le continent africain.

« L’accord sur les corridors remplit pleinement sa mission. Il n’y a aucune raison de le contester », a déclaré à la presse le porte-parole de la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby.

Ce dernier épisode confirme le fonctionnement des marchés des grains, déconnecté des règles économiques qui les régissaient il y a encore six mois. Mais, pour les producteurs de blé, le prix de la tonne de céréales est entré dans une zone critique. Compte tenu du niveau élevé des prix des intrants, les céréaliers français redoutent l’effet de ciseau. Les prix sortie ferme sont proches des coûts de production.

Les cours du blé dur apaisés

Quoi qu’il en soit, le président Poutine n’est pas le chef d’orchestre de l’ensemble des marchés des grains. Sur celui du blé dur, il n’a même aucune emprise. Depuis le retour du Canada à l’export, les cours mondiaux se sont nettement apaisés. Le 9 septembre dernier, le prix de la tonne de blé dur était de 430 € à La Pallice, 80 € de moins qu’au mois de juin dernier.

Le repli des cours mondiaux s’est enclenché au Canada quand la récolte de l’année s’est annoncée prometteuse (6,3 Mt selon StatCan) sans être pour autant exceptionnelle. D’autres baisses pourraient survenir les prochaines semaines mais dans l’UE, la quasi parité de l’euro avec le dollar n’en accélérera pas l’impact. Au Canada, le prix de campagne 2022-2023 serait en moyenne de 450 $ CA/t (340 €/t) (1) selon StatCan. Par ailleurs, les cours demeureront élevés car ils sont quelque peu corrélés à ceux des autres céréales.

La production mondiale de blé dur (32,9 Mt) couvrira avec peine sa consommation (33,6 Mt). Aussi, une reconstitution des stocks de report à leur niveau de 2021 (8,2 Mt) est inenvisageable. Ils sont estimés à 5,4 Mt.
C’est la sécheresse survenue brutalement en 2021 dans l’ouest du Canada qui a été responsable de la flambée des cours du blé dur cette année-là (jusqu’à 724 $ CA, 485 € environ) (1). En 2021-2022, l’offre de blé dur canadien avait alors chuté de 53 % à 3,43 Mt. Seules 2,66 Mt avaient été expédiées.

En produisant 3,4 Mt de plus de blé dur que l’an passé, le Canada exporterait 5,4 Mt (+2,5 Mt). De l’autre côté de l’Atlantique, l’UE produirait 7,1 Mt dont 1,3 Mt en France (1,6 Mt en 2021).
Les échanges commerciaux mondiaux au cours de la campagne 2022-2023 sont estimés à 8,71 Mt (+2,4 Mt sur un an). Le Maroc importera 1,2 Mt car le royaume chérifien n’a produit que 0,8 Mt (-1,7 Mt). La Turquie se voit dans l’obligation d’acheter 700 000 t (+530 00 t) et l’Union européenne 2,6 Mt (+ 1,7 Mt), mais cette dernière en exporterait quasiment autant.
Pour sa part, l’hexagone vendrait 750 000 t de grains sur le marché européen et 100 000 t vers les pays tiers, selon FranceAgriMer.

(1) Parité de l’euro à la date mentionnée.