Geoffroy d’Evry, président de l’UNPT

Le président de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) constate une vraie demande sur le marché des pommes de terre transformées. Selon lui, les prix des pommes de terre doivent tenir compte du capital investi et aussi des risques pris par les producteurs.

Vous avez annoncé une récolte de pommes de terre catastrophique début septembre, cela se confirme-t-il avec l’avancée des arrachages ?

On voit une vraie différence entre les pommes de terre irriguées et celles en culture sèche. La capacité de pouvoir irriguer limite clairement les pertes de rendement en période caniculaire. L’UNPT a annoncé une baisse de rendement d’au moins 20 % par rapport à la moyenne des vingt dernières années, cachant de fortes disparités avec, notamment, une très forte perte pour les non irrigants, pouvant aller jusqu’à 50 %.

Comment s’est passée l’irrigation ?

Environ 35 % des pommes de terre destinées à l’industrie sont irriguées. Plus on remonte vers le nord de la France, moins les agriculteurs sont équipés. Et cette année, les vagues caniculaires n’ont pas épargné les régions les plus océaniques, pas habituées à ce déficit de précipitations. Cette année, elles n’ont pratiquement pas reçu d’eau. La période d’irrigation fut très longue : parfois, c’est jusqu’à 8 tours d’eau qui ont été nécessaires contre 4 habituellement. Ce fut épuisant et la facture est salée, avec un prix de l’énergie qui s’est envolé. Certains bassins versants ont très tôt été mis en seuil d’alerte, ce qui a fermé le robinet dès la mi-juillet : autant dire que c’est une incompréhension totale sachant que l’on parle au quotidien de sécurité alimentaire… Il va nous falloir trouver de nouvelles pistes afin que l’eau reste disponible pour les cultures de pomme de terre, et travailler beaucoup plus en amont avec les services de l’État afin de prioriser cette ressource : elle reste le meilleur outil assuranciel. Ceci dit, il y a des agriculteurs qui ne vont pas irriguer – je suis moi-même dans ce cas actuellement – C’est la raison pour laquelle il faut accélérer la recherche et l’innovation.

La pomme de terre répond-elle bien à l’irrigation ?

On s’aperçoit que certaines variétés répondent mieux que d’autres. Il faudra changer de paradigme et se poser la question sur le panel des pommes de terre demandé par nos clients. Il serait aberrant de choisir des variétés sensibles au stress hydrique ou au mildiou, gourmandes en intrants, même si ces pommes de terre présentent des caractéristiques techniques fortes pour la transformation. Nous devons avant tout allier nos modes de production pour être plus respectueux de notre environnement et ajuster nos variétés aux changements climatiques. Avant de transformer une pomme de terre, il faut commencer par réussir à la produire !

Vous avez demandé au ministre le 2 septembre un « plan d’urgence et de sauvegarde ». Avez-vous un retour sur votre demande ?

Nous n’avons pas encore de réponse et cela devient urgent. Nous demandons une mesure d’urgence au maintien des surfaces pour 2023, par la mise en place d’un prêt garanti d’État pour donner un peu d’espoir et consolider les trésoreries fragilisées des producteurs. L’urgence est particulièrement vive pour la filière fécule qui est au bord du gouffre. Certes, les prix ont monté, mais les rendements sont catastrophiques et les producteurs sont désabusés. Nous avons encore une aide couplée, mais il nous faut une aide conjoncturelle pour faire face aux pertes de rendement et sauver la filière fécule et ses deux usines.

Vous n’êtes pas assurés ?

Très peu de producteurs le sont car, au-delà des coûts importants, les seuils de déclenchement sont tels qu’ils permettent rarement d’activer l’assurance, et cela ne va pas s’améliorer avec la baisse de la moyenne olympique. La réforme de l’assurance récolte va dans le bon sens. Maintenant, il faut regarder ce que vont proposer les assureurs et ajuster les curseurs au bon niveau.

Et que demandez-vous aux industriels ?

Une revalorisation des prix payés aux producteurs et une meilleure répartition de la valeur, notamment auprès de la grande distribution. Une grande majorité des approvisionnements des usines se font sous contrats qui ont été signés avant le début de la guerre en Ukraine. Il est impératif de rattraper l’envolée des coûts de production et retrouver de la trésorerie avant l’année prochaine.

Que doivent faire les producteurs concernés par les rachats de contrats ?

Nous sommes toujours plus forts en étant organisés. Les groupements peuvent discuter avec les industriels pour trouver des solutions afin de ne pas mettre les producteurs dans des impasses. Quand les agriculteurs sont en groupe, cela se passera bien. Pour les producteurs seuls, qui seraient en contrat avec des industriels, nous les invitons à se regrouper rapidement : l’UNPT les accompagnera dans cette démarche collective.

La compétition entre les industriels se concrétise-t-elle par de meilleurs contrats ?

Nous sommes tous confrontés à la réalité du marché. Nous subissons une augmentation des coûts de production, nous n’avons pas d’autre choix que de les répercuter. Et en plus, nous faisons face à des aléas climatiques : le prix doit aussi tenir compte de ces risques. Si les industriels veulent trouver des producteurs, ils vont devoir proposer des prix incitatifs.

Comment ont évolué vos coûts de production ?

Nos coûts de production ont grimpé de 30 % par rapport à 2021. Concernant les indemnités de stockage, il va falloir trouver un système intelligent indexé sur le prix du kilowatt/heure. On ne peut plus se contenter d’un barème fixe. Sur ce sujet du stockage, il faudrait un vrai plan de modernisation avec des équipements plus autonomes en énergie avec, par exemple, un accès à la production d’énergie photovoltaïque plus simple et surtout plus incitatif.

Avez-vous toujours assez de moyens de production ?

Il y a plusieurs produits sur la sellette. Il faut rester vigilant et ne pas perdre des moyens de production, comme en betterave avec l’interdiction des néonicotinoïdes. Nous travaillons sur la sélection variétale et les produits de biocontrôle, mais nous aurons toujours besoin de produits de synthèse. La solution passera par la combinaison de différents leviers : en retirer un, sous le seul joug de position dogmatique, serait tout bonnement suicidaire.

Face aux prix élevés des céréales, y a-t-il un risque de diminution des surfaces l’année prochaine ?

Oui, c’est un risque. Il n’est pas uniquement concentré sur la France. C’est la même chose partout en Europe. Avec la hausse de coûts de production et les risques climatiques, beaucoup de producteurs se posent des questions pour les assolements 2023. C’est pourquoi il faut intégrer le facteur risque dans les prix des contrats.