« Même s’il pleut abondamment, c’est désormais trop tard », explique Loïc Le Meur, chargé de missions pour les affaires techniques et économiques à l’UNPT. Pour lui, l’année 2022 est inédite. Les rendements devraient être en très forte baisse cette année, les plus faibles des vingt dernières années à ce stade, avec des pertes extrêmes relevées à -50 % chez certains producteurs de pommes de terre non irriguées. Cette chute des rendements est due à la sécheresse, bien sûr, mais aussi à la température. « Le chaud a fait plus de mal que le sec », précise Loïc Le Meur. En effet, « à partir de 29 °c, la pomme de terre est bloquée physiologiquement et ne pousse plus », explique Cyril Hannon, coordinateur pomme de terre chez Arvalis. « L’irrigation a toutefois été, pour les producteurs qui peuvent en bénéficier, l’amortisseur climatique, même si la réponse a parfois été différente en fonction des variétés », affirme Loïc Le Meur.

L’UNPT et Arvalis mettent en garde les producteurs, particulièrement ceux qui n’ont pas d’irrigation, contre la tentation de retarder les arrachages en cas de pluie pour espérer gagner quelques tonnes. En effet, « dans les parcelles non irriguées notamment, on risque d’avoir des repousses physiologiques », explique Cyril Hannon. Ce phénomène qui intervient quand il y a des à-coups climatiques entraîne la formation de nouveaux germes et de nouveaux tubercules à partir des pommes de terre existantes. Les nouvelles pommes de terre peuvent grossir très vite et vider le tubercule mère de sa matière sèche, qui devient impropre à la consommation. Par ailleurs, « ils sont peuleux et s’abîment facilement, ce qui rend plus délicat le stockage », prévient Cyril Hannon. Ce phénomène se retrouve plus dans certaines variétés. Cette année, les cultures les plus tardives et les plus vertes risquent d’être davantage touchées.

Une inconnue de taille : quel comportement auront les pommes de terre au stockage ?

La conservation des pommes de terre risque aussi d’être affectée par les conditions météorologiques. En effet, en raison de la sécheresse, certains producteurs n’ont pas pu traiter leurs champs avec l’hydrazide maléique qui amoindrit la faculté germinative des tubercules. Et comme ces derniers ont déjà un âge physiologique avancé, il y a fort à craindre qu’il faille surveiller leur comportement dès leur entrée en stockage. Cette problématique questionne aussi la production sur sa capacité à répondre techniquement à cette nouvelle donne, compte tenu de la hausse des charges d’électricité sur les bâtiments de stockage.

Côté fongicide, des économies réelles sont attendues en comparaison de 2021 puisque la pression mildiou a été très faible. Si la quantité n’est pas au rendez-vous, la qualité est là. La culture montre, pour le moment, assez peu de problèmes physiologiques.

Le vendredi 2 septembre 2022, l’UNPT a été reçue par le ministre de l’Agriculture pour évoquer cette situation. Ses dirigeants ont demandé à Marc Fesneau un « plan d’urgence et de sauvegarde de la production de pomme de terre en France ». Ce dispositif contiendrait un prêt garanti d’État pour consolider les trésoreries fragilisées, une aide financière exceptionnelle nationale et/ou européenne de soutien aux producteurs les plus impactés financièrement par la sécheresse, et un dispositif exceptionnel de sauvetage de la filière féculière. Réponse à venir.

Grégoire Jaquemet, producteur de pommes de terre à Gommerville (Eure-et-Loir) et administrateur de l’UNPT et du CNIPT

La chaleur a stoppé la tubérisation

« Le début du cycle de production s’était pourtant très bien passé. Nous avons planté fin mars et début avril, dans de bonnes conditions puisque nous n’avons pas été arrêtés par la pluie. Cependant, l’hiver doux et l’absence de gel ont entraîné une mauvaise préparation du sol (présence de mottes). Le printemps a été sec et chaud. Si la sécheresse a pu être compensée par l’irrigation, la chaleur a stoppé la tubérisation des pommes de terre, entraînant une perte élevée de tubercules. Normalement, on a entre 10 et 14 tubercules par pied. Cette année, ma moyenne est seulement à 7 ou 8 pommes de terre. On a arrosé sans s’arrêter, 24 heures sur 24. Les tubercules restants ont pleinement profité de l’irrigation et ont grossi. On a donc peu de pommes de terre mais leur taille est conséquente. Cette situation est propre à mon exploitation. Le constat diffère beaucoup en fonction des régions, des variétés et des dates de plantation. Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est la conservation. Les frigos ne sont pas encore pleins et on applique déjà l’antigerminatif. Normalement, cela se fait trois semaines après la fermeture des frigos. Je pense que cela est dû aux coups de chaud et à l’inefficacité de l’antigerminatif qu’on a pulvérisé en végétation ».