Lundi 3 octobre 2022 au petit matin, un betteravier de l’Oise s’est donné la mort. Deux jours avant, il avait reçu une convocation judiciaire émanant de l’office français de la biodiversité (OFB)*. Quelques mois plus tôt, l’agriculteur était visité par trois agents de l’OFB, explique Régis Desrumaux, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de l’Oise. « Il était accusé d’avoir entraîné le jaunissement de l’herbe sur une ligne d’une longueur d’environ 600 mètres, sur un chemin qui longe une de ces parcelles », raconte-t-il. « Les agents de l’OFB ont épluché toutes les données de traçabilité de l’exploitation sous le regard méfiant de Linda Monnier, directrice de la FDSEA de l’Oise. Mais ils n’ont trouvé aucune preuve permettant d’accuser l’agriculteur. C’était un agriculteur très consciencieux et tout était parfaitement à jour. Les agents de l’OFB l’ont même fait remarquer », précise-t-il. Malgré cela, le président du syndicat témoigne que l’agriculteur était très perturbé par ce contrôle. Interrogé par le Betteravier français, le directeur de l’OFB de l’Oise précise : « nous avions toutes les raisons de penser que l’agriculteur était coupable. Matériellement, les faits étaient constitués », explique-t-il.

« On demande de la pédagogie et du bon sens »

Une manifestation pacifique a rassemblé 200 agriculteurs devant le siège de l’OFB à Beauvais, le mercredi 26 octobre à 11h, à la date et à l’heure auxquelles l’agriculteur défunt était convoqué. Une délégation de la FDSEA a pu rencontrer le directeur de l’agence. « Il a paru très affecté par le drame », raconte Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA en charge des questions liées au mal-être agricole. De son côté, la préfète de l’Oise a signalé à Régis Desrumaux qu’elle rejetait tout lien entre la mort de l’agriculteur et l’activité de ses services.

Selon Régis Desrumaux, « cette mort tragique interpelle sur les méthodes utilisées par l’OFB. Cette institution ne connaît pas la présomption d’innocence : quand vous les voyez arriver dans votre ferme, avec leur arme à feu, vous comprenez que vous êtes présumé coupable », explique-t-il. « On sait qu’il faut des contrôles. Mais on demande de la pédagogie et du bon sens. On demande que les contrôles prennent en compte la réalité de notre métier et de la nature », explique le président de la FDSEA. « Malheureusement, les agents de l’OFB n’y connaissent rien ! Ils n’ont qu’un semblant d’avis sur l’agriculture. Ils reçoivent des ordres du ministère de l’écologie qui leur demande de mettre la pression sur les agriculteurs », déplore-t-il.

« On s’étonne qu’il y ait un agriculteur qui se donne la mort tous les deux jours. Mais la cause est simple : c’est la déconnexion de l’État par rapport au réel et la pression administrative et environnementale », affirme Régis Desrumaux. Lors d’un contrôle, un agriculteur a fait constater par l’OFB les dépôts sauvages de gravats et d’huile de vidange qui s’accumulaient en bordure de son champ et dont il ne savait que faire. « Mais ça, ils n’en avaient rien à faire », déplore-t-il. « C’est facile de s’attaquer aux agriculteurs car nous sommes faibles et sans défense », explique son voisin. Et l’agriculteur qui a été inhumé la semaine dernière n’est pas le premier. « Un de mes voisins s’est pendu il y a trois ans, après avoir eu des problèmes avec l’OFB », explique Louis Y, agriculteur et betteravier dans la Somme.

Témoignage anonyme par peur d’un nouveau contrôle

« La convocation judiciaire est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », explique Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA. « Ce drame est très probablement multifactoriel. En effet, l’agriculteur s’était fait voler son GPS la veille du suicide », précise-t-il. Mais cela ne remet pas en cause la nature contestable des méthodes utilisées par les agents de l’OFB. Une dizaine d’agriculteurs de l’Oise ou d’autres départements, ayant subi un ou plusieurs contrôles, ont accepté de témoigner suite à ce drame. Mais ils ont tous exigé de rester anonymes pour « éviter un nouveau contrôle que l’OFB pourrait faire en représailles ». En effet, « si on veut trouver une irrégularité dans une ferme, on en trouvera toujours », précise Alain** N. « En raison de la surtransposition réglementaire, si on veut être sûrs d’être parfaitement dans les règles, il faut arrêter notre activité et vendre notre ferme », avoue un de ses collègues. « Par exemple, il y a toujours un risque de griller un peu d’herbe sur le bas-côté quand on épand du glyphosate et que l’on doit amorcer la rampe dans un coin de champ. Moi ça m’arrive de temps en temps, et j’ai été contrôlé et convoqué pour cela », explique-t-il. « On voit bien que les agents de l’OFB n’ont jamais conduit un pulvérisateur de 36 mètres en pleine nuit dans un champ en pente », se désole-t-il. De son côté, le directeur de l’OFB de l’Oise affirme ne jamais s’intéresser aux traces de pesticide de moins de 300 mètres de long. « On ne fait pas de procès-verbal sur les petites surfaces, sauf si elles se situent dans un milieu sensible comme la bordure d’une rivière. On évite les infractions de petite envergure », explique-t-il. « Les bordures de champs et les chemins sont les seuls lieux où l’on peut encore retrouver de la biodiversité dans les grandes plaines céréalières, et on cherche à les protéger », précise-t-il. Il y a manifestement deux versions d’une même réalité.

« Vous avez l’impression que vous êtes le pire des criminels »

« On vit avec la boule au ventre, avec la peur du contrôle », explique Augustin C. Si certains agriculteurs arrivent à prendre de la distance vis-à-vis de cette pression, d’autres semblent très affectés psychologiquement. « Quand vous voyez l’OFB débarquer dans votre ferme, en uniforme et le pistolet à la ceinture, vous avez l’impression que vous êtes le pire des criminels », se souvient Alain Q. « Moi je suis habitué à gérer des situations délicates, puisque je suis maire de ma commune depuis 16 ans. Et puis j’ai un tempérament optimiste et détendu, donc ça s’est plutôt bien passé », explique Gérard V. « Mais ce n’est pas le cas de tous mes voisins. Ça ne m’étonne pas que certains craquent », affirme-t-il.

Interrogé par le Betteravier français, le directeur de l’OFB de l’Oise expose l’esprit dans lequel il travaille. « L’idée, ce n’est pas de faire peur aux agriculteurs. Ceux qu’on reçoit en audition disent que ça se passe très bien. Il n’y a pas d’attitude de cow-boy. Ça n’existe pas ». Concernant le suicide de l’agriculteur en question, il se dit « absolument désolé » : « moi aussi, je suis sensible au mal-être agricole. Je tiens à mon côté humaniste », affirme-t-il. Il précise que « la grande majorité des enquêtes donnent lieu à un simple rappel à la loi et sont classées sans suite. Et les infractions restantes sont, pour la plupart, sanctionnées par des amendes minorées par rapport au code rural qui régit l’utilisation des pesticides et qui prévoit des amendes très lourdes ». L’OFB précise : « on ne cherche pas à taper sur les agriculteurs. Comparés aux autres services, on nous dit qu’on est des gentils ». Mais les témoignages anonymes des agriculteurs ne vont pas du tout dans ce sens.

Les ministères alertés

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau et le ministre de l’Écologie Christophe Béchu ont été alertés du drame par Luc Smessaert et Christiane Lambert. « Ils ont tous les deux été sensibles à la situation et ont pris cela au sérieux ». Interrogé par le Betteravier français sur la mort de cet homme et sur la responsabilité et les méthodes de l’OFB, le ministère de l’Agriculture a affirmé porter une attention particulière au fait que « les agriculteurs, leurs salariés, leurs familles, figurent au nombre des catégories socio-professionnelles particulièrement exposées à la souffrance psychique, du fait de conditions de travail et de vie difficiles, éprouvées par des aléas climatiques, sanitaires, économiques de plus en plus récurrents et contraignants ». Mais pas un mot sur la responsabilité de l’OFB dans ce drame. Le ministère a aussi répondu que « le plan de prévention du mal-être en agriculture lancé il y a un an » était là pour cela.

François-Xavier Duquenne

*L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public dédié à la sauvegarde de la biodiversité. Il est chargé de la protection et la restauration de la biodiversité dans l’Hexagone et en Outre-mer.

**Les prénoms des agriculteurs ont été changés afin de préserver leur anonymat.

« Les interventions de l’OFB poussent les agriculteurs à bout. »

Alexis Hache, Président de la CGB Oise

L’OFB utilise des méthodes qui génèrent une anxiété énorme dont nous n’avons pas besoin dans nos fermes. Ce sont souvent nos épouses ou nos enfants qui ouvrent la porte et qui ne sont au courant de rien. Convocation, lettre recommandée, armes à feu, tout cela participe à un climat de tension très palpable.

Nous avons déjà assez de problèmes comme ça. On nous retire nos moyens de production, les taxes et les intrants augmentent, on est écrasés sous des réglementations parfois inadaptées et sous la paperasse et on subit le changement climatique. Les gens n’imaginent pas la somme des comptes que nous avons à rendre. Les interventions de l’OFB en rajoutent une couche et poussent les agriculteurs
à bout. Certains craquent en se donnant la mort. On peut hélas craindre que cela se passe plus mal un jour chez un agriculteur un peu sanguin.

Le droit à l’erreur et à la présomption d’innocence devrait être la règle. Nous ne sommes que des humains, pas des machines.
La moindre bordure brûlée, le moindre tas de compost qui reste trop longtemps en bout de champ entraîne une convocation. Pour des raisons d’efficacité et par soucis écologiques, on traite souvent très tôt le matin ou très tard le soir. C’est normal que l’on ne soit pas précis au centimètre près avec un pulvérisateur de 36 mètres, et il n’y a pas mort d’homme, en l’occurrence. J’invite donc les agriculteurs à filmer les contrôles et à les diffuser.

Et je lance un appel au bon sens et surtout au dialogue. C’est ce qui manque le plus dans les contrôles. J’ose espérer que la description de la situation départementale que nous faisons, en tant que représentants syndicaux, n’entraînera pas de nouveaux contrôles dans nos fermes ».

« Il faut nourrir le tribunal »

Dans une enquête publiée par le Point le 3 avril 2022 et disponible sur internet, la journaliste Géraldine Woessner met en évidence la chasse à l’agriculteur menée par l’OFB : à Grenoble par exemple, la section départementale, poussée par le procureur du parquet spécialisé (créé par la réforme du 1er avril 2021) assume de faire du zèle : « il faut nourrir le tribunal et faire un exemple », affirme le magistrat. Selon la journaliste, les agents de l’OFB décident explicitement de cibler les agriculteurs et de traquer leur faute.