Fleuron de la plaine, le lièvre fait rêver. On le présente avec fierté sur la table de la cuisine en savourant d’avance – en civet ou « à la royale » – ses délicieux effluves. Tous n’ont pas le même prestige. L’ancêtre ne vaut pas le jeune. Au XVIIIe siècle, on ne s’y trompait pas. Pour obtenir les faveurs d’un haut personnage, on lui offrait un jeune animal qu’on appelait un « financier ». Un subalterne devait se contenter d’un « conseiller », plus âgé et donc plus coriace.

Le lièvre a toujours figuré à la table des princes. Dans son « journal de voyage » Montaigne, visitant l’Italie, s’étonne fort qu’à Corsina (Lombardie), les autochtones s’en désintéressent. « Un très beau levraut me fut vendu au premier mot (sans marchander) six sous de France. On ne chasse point et on n’apporte point de gibier parce que personne ne l’achèterait ».

Aujourd’hui, sa cote varie. Dans les pays de l’Est où les concentrations sont extraordinaires, on organise ce qui s’apparente plutôt à des battues de destruction. En Grande-Bretagne, le tir d’un lièvre n’émeut personne. Il s’agit seulement de bonne gestion. L’animal finira sur le tas de fumier, éventuellement en soupe.

Mais en France, c’est une autre affaire ! Le lièvre, dans le Nord, « la » lièvre dans le Midi ( oui, on le féminise) suscite la passion. J’ai vu dans une chasse communale du sud de la France, près de Béziers, un chasseur tirer dans la direction d’un oreillard à plus de cent mètres juste pour le faire dévier afin qu’il ne passe pas sous le fusil d’un collègue : « faut se faire respecter ! »

Les densités ont faibli mais restent néanmoins convenables. Mis en place par la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) en collaboration avec l’Office Français de la Biodiversité (OFB), le « réseau lièvre » piste l’animal assidûment. Il compte 31 sites d’observation. Les densités moyennes s’établissent aux environs de 10 lièvres par km² dans les habitats herbagers, un peu moins de 15 dans les habitats mixtes ou diversifiés, et plus de 30 dans les habitats céréaliers.

Pic des naissances de mai à juillet

L’animal se reproduit médiocrement et c’est ce qui inquiète nos spécialistes. « En 2019, le succès global de la reproduction est de 52 % de jeunes. Ce résultat, comparable à celui de l’année précédente, est toujours très médiocre par rapport à ce que nous connaissions jusqu’aux années 90 ».

Pourquoi ? Même si les sociétés de chasse prévoient des plans rigoureux, on est toujours incapable de distinguer les sexes à distance. Certains auteurs disent que si les animaux courent les oreilles dressées ce sont des mâles, couchées ce sont des femelles. Fariboles ! Contrairement au grand gibier, il est donc très difficile d’épargner les hases. Cela nuit évidemment à la reproduction. On peut penser ensuite que le développement fulgurant du renard joue aussi un rôle. Le levraut est éminemment vulnérable et c’est une proie facile. Le développement du machinisme agricole détruit également pas mal de jeunes cachés dans les cultures.

En effet, les premiers naissent dès janvier et, après une augmentation progressive des naissances, on atteint un pic pendant la période de mai à juillet, suivi d’une forte diminution dès le mois d’août. Or, à cette époque, les tracteurs tournent beaucoup dans les champs … Enfin l’animal paie un lourd tribut aux voitures.

Quelle est la tendance ? Le réseau lièvres constate que la situation est stable dans une douzaine de territoires, à la hausse dans quatre et à la baisse dans 12 autres. Rien de catastrophique donc, mais il faut gérer ce gibier intelligemment, en limitant à la fois les prélèvements et la période de chasse.

Les territoires bien pourvus se trouvent aussi bien dans le Nord-Pas-de-Calais qu’en Normandie ou dans le sud du pays. La situation est très variable d’un département à l’autre et d’une année à l’autre.

La pression de chasse est-elle déterminante ? Absolument. Lorsque les prélèvements sont inférieurs ou égaux à 15 % de la population, ils sont sans impact sur l’évolution future. En revanche, s’ils sont supérieurs, les densités baissent.

A tir ou à courre

Quelques mots sur la chasse. Le lièvre se chasse devant soi avec un chien sage qui ne court pas le poil. Il peut partir, selon l’expression consacrée « dans les culottes » ce qui n’empêche pas de le louper. « Cul de lièvre, cul de plomb » : il faut tirer en tête, autrement c’est cuit. Une fois cueilli, on aura soin de le faire pisser en lui massant le ventre pour préserver son carnier ou sa poche carnier. Le plomb N°6 convient parfaitement.

C’est aussi un remarquable animal de vénerie. Plus rusé que le cerf, le sanglier et le chevreuil, l’animal revient sur sa voie (fait des « doubles »), se forlonge (prend de l’avance), traverse les rivières, se rase sous un tas de fumier (pour masquer son odeur), court sur le goudron, bref le prendre est un exploit. Athlète accompli, le veneur doit avoir du souffle et du jarret, sauter les haies, franchir les barbelés et même, à l’occasion, traverser un cours d’eau à la nage. Patron du « Rallye des grands loups », grand maître de la discipline, Olivier de la Bouillerie est l’incarnation de ces tempéraments inoxydables et valeureux. Impossible de parler du lièvre sans lui tirer son chapeau. C’est fait.