Ici rien ne se perd, tout se transforme. Philippe Meurs, agriculteur à Oulchy-le-Château, dans le sud de l’Aisne, valorise au maximum ce qui est à disposition. Et si possible avec des cercles vertueux. L’exploitation où il s’est installé en 1995 disposait de « deux jambes » : les cultures et les bovins viande. Il les a développées et en a créé deux autres : le photovoltaïque et la méthanisation. « Une nécessité, avoue le betteravier. Les 400 hectares, dont 70 de prairie que nous cultivons avec mon épouse, ont en majeure partie un faible potentiel. L’énergie assure une visibilité à long terme ».

700 places de taurillons

Eleveur dans l’âme, l’exploitant passe progressivement à 700 places d’engraissement de taurillons charolais entre 2008 et 2020. Le tout dans une logique de territoire. Il utilise comme aliment de base la pulpe surpressée, achetée aux deux coopératives où il est adhérent (Tereos Bucy et Cristal Union Bazancourt). En tant que coopérateur, il dispose d’un approvisionnement sûr de 6 000 t/an. Il complète les rations avec des tourteaux de tournesol et de soja, des pulpes de pommes de terre venant de Vecquemont et bien sûr de la paille. Pour ses 5 000 balles carrées (1 800 t), il achète 200 ha de paille en andain chez des voisins en plus de celles issues de la ferme. Il ajoute enfin un tiers de maïs ensilage. Les broutards achetés à 8/10 mois autour de 360 kg vif sont vendus à 800 kg (poids de carcasse de 450 kg).

Un hectare de toiture valorisé

La surface des bâtiments d’élevage atteint un hectare ! Dès 2011, l’entrepreneur loue une partie du toit pour le photovoltaïque (230 kWel produit), une source de revenu appréciable. Pour les derniers bâtiments construits en 2020 et 2021, il achète lui-même les panneaux et vend l’électricité (500 kWel et 350 kWel).

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Un hectare de toiture à valoriser pour la production d’électricité ©M.-P. Crosnier

Toujours dans un souci de valorisation, Philippe Meurs se lance dans la méthanisation. Avec la même volonté de cohérence et d’optimisation vertueuse. « Les cultures produisent des aliments. J’utilise les co-produits (betteraves, pommes de terre, paille…) pour les bovins. Ils fournissent de la viande et du fumier transformé en énergie et en digestat. Avec une économie de 50 % de l’azote apporté dans la ferme ». Plutôt que d’investir dans une fumière, l’entrepreneur préfère financer un atelier créateur d’énergie. De plus, reconnaît-il, la méthanisation oblige à être plus performant sur l’atelier d’élevage. Les lots de bovins doivent se succéder pour fournir 25 tonnes de fumier quotidien.

9 000 tonnes de fumier transformées en énergie

Reste que l’aventure de la méthanisation n’est pas simple. Un premier fournisseur de matériel a déposé le bilan. Avec le second, AgriKomp, Philippe Meurs opte pour la voie de « l’infiniment mélangé » et commence la production en automne 2022. Le fumier est coupé en petits morceaux pour une meilleure transformation par les bactéries en méthane. Il est mélangé avec du liquide (récupération des jus : cour, silos, bovins, eaux pluviales) dans le digesteur. Il y passe 30 jours à 45°C. La préparation a la consistance d’une soupe avec 8 à 10 % de viscosité. Le digestat est obtenu après une séparation de phase. Le liquide est envoyé dans une fosse, et le solide tombe par gravité sur une plateforme. Le méthane produit est transformé en électricité et en chaleur (séchoir à fourrage et à grain avec des gaines enterrées).

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Le digestat assure 50 % des apports azotés de l’exploitation. ©M.-P. Crosnier

Pour valoriser encore mieux l’énergie, Philippe Meurs envisage un réseau de chaleur pour chauffer les quelques habitations du hameau voisin. L’eau chaude serait transportée dans des tuyaux enterrés à 80 cm sur 700 m.

Aujourd’hui, le méthaniseur a une puissance de 250 kWel et fonctionne uniquement avec le fumier. « Nous doublerons peut-être sa capacité. Mais dans ce cas, il faudra utiliser des CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique) », dévoile-t-il. Les sécheresses récurrentes l’obligent néanmoins à la prudence. Il faudrait produire environ 80 ha d’ensilage de seigle, suivis par une culture de maïs. Celui-ci, semé plus tardivement, serait plus sensible à la sécheresse. Or, nourrir ses taurillons reste la priorité de l’éleveur. Deuxième point, le financement. Le premier méthaniseur devrait avoir un retour sur investissement d’ici 13 ans. À 51 ans, l’ « énergie-culteur » doit composer avec un temps de retour adapté.

Et de l’agrivoltaïsme

Infatigable, le créateur d’énergie travaille aussi sur un projet d’agrivoltaïsme. Sur une trentaine d’hectares à très faible potentiel, il prévoit de contractualiser avec une entreprise. Celle-ci installerait des lignes de panneaux photovoltaïques tous les 8 mètres. Posés en hauteur sans béton, ils produiraient de l’électricité. Un séchoir permettrait la valorisation du fourrage produit entre les panneaux. En fin de compte, dans l’exploitation, l’énergie (photovoltaïque et méthanisation) devrait à terme fournir la moitié des revenus.

Reste ensuite à faire tourner l’ensemble. Avec deux salariés, son épouse qui gère l’administratif et lui-même, qui est fortement engagé à l’extérieur (Crédit Agricole, FDSEA et Chambre d’agriculture), ils doivent tous déployer beaucoup d’énergie. Rien ne se perd, tout se transforme.