Sa vie, elle ne l’a jamais imaginée autrement. Dans la ferme, suivant l’évolution des cultures et réalisant les travaux des champs. « J’ai passé toute mon enfance derrière mon grand-père. Dans son tracteur ou lors des tours de plaine. Pour moi, c’étaient les meilleures vacances », reconnaît Marie-Claire d’Halluin. Installée depuis deux ans sur son exploitation de 230 hectares, la jeune femme de 31 ans mesure sa chance, un sourire constant aux lèvres.
Son Bac STAV et un BTS production végétale à peine en poche, en 2014, elle revient dans la ferme maternelle et remplace le salarié. Enthousiaste, elle effectue tous les travaux sur la centaine d’hectares de l’exploitation, mis à part l’arrachage des betteraves et du lin. Elle fait aussi de la prestation chez un agriculteur voisin, réalisant les traitements des cultures. « Il m’a beaucoup appris et toujours fait confiance. Aller à l’extérieur est très formateur », confie-t-elle, reconnaissante.
Autonomie et technicité
En 2022, Marie-Claire s’installe agricultrice en reprenant la ferme de son oncle et celle de sa mère. « Au départ, mon oncle hésitait à laisser sa ferme à une fille », se souvient-elle. Mais la détermination et la compétence de la jeune femme l’ont convaincu. De nombreuses personnes ont tenté de la décourager. « Certains n’en reviennent pas que je conduise la moissonneuse-batteuse. Je ne comprends pas pourquoi une femme pourrait conduire une voiture et pas une moissonneuse », s’amuse-t-elle.
Si l’exploitante ne bouleverse pas le fonctionnement des exploitations, gardant les mêmes cultures (céréales, colza, betteraves et lin textile), elle imprime peu à peu sa marque. Comme les échanges paille-fumier ou l’apport d’engrais organiques (fientes, lisier, composts) pour augmenter les teneurs en matières organiques un peu faibles (1,8 %, voire parfois 1,7 %). Elle s’intéresse aux couverts et teste des mélanges. Marie-Claire réduit les labours, les réservant aux cultures de printemps.
Autre changement : l’équipement en GPS pour faciliter le travail. « J’ai commencé par investir dans une barre de guidage. Puis je l’ai remplacée par un GPS Trimble. J’ai ensuite équipé avec des GPS Intrax ma moissonneuse-batteuse et le tracteur qui me sert à semer mes betteraves. Ils utilisent le réseau RTK centipède, complètement gratuit. Cette année, je vais en acheter un pour le tracteur avec lequel je prépare le sol ».
Le lin et les betteraves ont sa préférence. Au cours de ses études, Marie-Claire avait choisi l’ITB pour réaliser son stage de huit semaines. Depuis, Alexandre Métais, délégué ITB de Normandie, dispose chaque année d’une plateforme d’essais au sein de la ferme. Saint Louis Sucre pratique aussi des expérimentations grandeur nature sur des parcelles de deux hectares. L’agricultrice profite de ces échanges pour suivre les évolutions techniques. « Cette année, j’ai dû réduire ma sole de betteraves de 28 à 25 ha, selon les directives Saint Louis », regrette-t-elle. Avec une moyenne olympique proche de 90 t/ha, elle apprécie les marges obtenues.
Le lin qu’elle cultive sur 35 hectares la passionne pour son côté technique. Et bien sûr pour les marges rémunératrices. L’exploitante dispose de tout le matériel, sauf de l’arracheuse. Pour chaque étape, arrachage, rouissage, enroulage, elle n’hésite pas à aller à la coopérative du Neubourg ou chez son négociant du Nord. « Parfois, cela se joue à très peu pour avoir du lin de très bonne qualité », prévient-elle. Après dix ans d’expérience, ses compétences sont reconnues. Certains voisins font appel à ses services pour retourner ou enrouler leur lin.
Même avec l’accroissement de surface lors de son installation, Marie-Claire continue de réaliser tous les travaux agricoles, sauf l’arrachage du lin et des betteraves. Seule adaptation, l’emploi d’un agriculteur voisin pour conduire les bennes à la moisson et ouvrir les terres avant les semis de blé. Pour l’entretien du matériel, elle réalise les vidanges et graissages mais sous-traite tout le reste aux concessions. L’agricultrice s’occupe aussi de tout l’administratif, depuis la saisie des factures jusqu’à la déclaration Pac. Technique, elle apprécie aussi les réunions ou webinaires des instituts techniques (ITB, Arvalis, Terres Inovia) et la presse agricole.
Et d’autres missions l’attendent. Trois bâtiments du magnifique corps de ferme classés monuments historiques demandent de l’entretien. Une grange dîmière en colombages du 12e siècle, un pigeonnier et un porche du 15e siècle. Là encore, les défis à relever sont conséquents.