Une nouvelle épée Damoclès brandie sur l’agriculture française et ses céréaliers. Sans dérogation, plus aucune tonne de grains ne pourrait plus être exportée le 26 avril prochain vers le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest, si le phosphure d’aluminium non ensaché ne peut plus être employé (1).

En effet, l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses) ne renouvellera pas l’autorisation de mise sur le marché de l’insecticide commercialisé en cachets non ensachés, employé en contact direct avec les grains entreposés dans les cales des navires dans lesquelles il est épandu.

La raison invoquée par l’Anses et par sa directrice générale, Charlotte Grastilleur : le souci de répondre à la demande de la société qui produit l’insecticide de ne pas renouveler l’autorisation du produit sous sa forme non-ensachée ! Car selon elle, l’insecticide ne serait pas conforme à la réglementation européenne. Des résidus des cachets auraient été détectés dans les lots de céréales sorties des cales des navires.

La société productrice de l’insecticide en question, dont le nom n’a curieusement pas été communiqué par l’Anses, dément formellement.

Par ailleurs, « c’est oublié que les grains sont nettoyés par les minotiers et les industriels l’alimentation animale avant d’être incorporés dans les formulations », rappelle Christelle Tailhardat du Synacomex (SYndicat NAtional du COMmerce EXtérieur des céréales, graines oléoprotéagineuses, légumes secs et produits dérivés).

Les importateurs veulent des cachets

« Enfin, les pays importateurs souhaitent que les céréales livrées soient traitées avec des cachets de phosphure d’aluminium non ensachés car ils n’ont tout simplement pas les moyens de retirer les sachets et de recycler les sachets », ajoute le Synacomex. Manipuler des sachets sans protection est dangereux !

En conséquence, ces pays importateurs ne comprennent pas la décision de l’Anses. Et ils ne sont pas les seuls !

En fait, la décision de l’Agence a sidéré tous les acteurs de la filière céréalière française et bien sûr le ministère de l’Agriculture.

En réponse à une question posée à l’Assemblée nationale par la députée Félicie Gérard, lors de la séance des questions posées au gouvernement, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture a déclaré : « Il existe un régime juridique spécifique qui permet l’application de phytosanitaires sur les produits agricoles exportés, quand c’est une exigence du pays d’accueil, à partir du moment où la molécule n’est pas interdite au niveau européen. Or, la phosphine n’est pas interdite au niveau européen. Ce cadre juridique permettant l’export des céréales peut donc s’appliquer pleinement ».

En attendant la décision unilatérale de l’Anses ne peut que renforcer la conviction des céréaliers d’être une nouvelle fois victimes de distorsions commerciales par le seul fait des autorités administratives françaises. Car aucun pays européen exportateur de grains n’a retiré du commerce les cachets de phosphure d’aluminium non ensachés !

Mesure administrative arbitraire

A ce jour, tous les scénarios sont envisagés. Au mieux, des dérogations pour utiliser l’insecticide non ensaché pourraient être accordées par le ministère de l’Agriculture en attendant d’y voir plus clair. Au pire, l’effondrement des cours et l’engorgement du marché français des céréales par les millions de tonnes de grains qui ne pourraient plus être exportées.

Mais selon Benoît Valet, le directeur général de l’Anses, les décisions de l’Agence sont prises sans se soucier des conséquences économiques qu’elles génèrent, ni même sans savoir s’il existe ou pas des alternatives aux substances interdites. Le 29 mars dernier, Benoît Valet a du reste réitéré une nouvelle fois ces propos lorsqu’il a été auditionné par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

Or dans le contexte géopolitique et économique mondial actuel, les marchés mondiaux des céréales n’avaient pas besoin d’être déstabilisés par une mesure administrative française arbitraire.

Si elle est effective, les pays importateurs empêchés d’importer des grains, à leurs conditions, pourraient très vite se détourner du marché français et prioriser d’autres origines.

Certes, nous sommes en fin de campagne. Mais l’interdiction du phosphure d’aluminium non ensaché deviendra problématique si elle est toujours en vigueur l’été prochain, lorsque la nouvelle récolte sera engrangée.

Au final, ce qui n’aurait dû n’être qu’une nouvelle homologation du phosphure d’hydrogène en cachets non ensachés vire au cauchemar! Les autorisations de mise sur le marché des insecticides sont renouvelées tous les trois ans. Celles du phosphure d’aluminium, employé en sachets ou en contact direct avec les grains devaient être reconduites le 26 avril 2023. Et alors, de simples analyses auraient suffi pour mettre à jour le nouveau dossier d’homologation. Mais l’interdiction du phosphure d’aluminium non ensaché, décidée unilatéralement par l’Anses revient ni plus ni moins à homologuer une nouvelle fois le produit. Et là, ça prendra du temps !

Pour en pas en arriver à cette extrémité, « nous mettons tout en œuvre pour permettre le maintien des exportations de céréales, notamment vers les pays du Maghreb après cette date (le 26 avril), a ajouté le ministre de l’Agriculture à l’Assemblée nationale.

(1) Cet insecticide en cachet dégage, en présence d’air humide (ou même de la vapeur d’eau pulmonaire), de la phosphine (hydrogène phosphoré ou phosphure d’hydrogène – PH3) qui éradique les acariens logés dans les lots de grains exportés.

La France pourra-t-elle continuer à exporter ?

Oui répond Marc Fesneau. Interrogé lors des questions au gouvernement le 11 avril, le ministre de l’Agriculture a affirmé, à l’Assemblée nationale, que « la France va continuer d’exporter des céréales vers les pays tiers. »

« L’intention est la bonne, la déclaration aussi. Mais là où le bât blesse c’est qu’il nous faut un écrit qui protègera les exportateurs agricoles d’une quelconque attaque juridique », a rétorqué le député de l’Aisne (LR) Julien Dive.