« Le changement climatique et les restrictions d’usage de produits de la phytopharmacie vont continuer à mettre sous pression les sélectionneurs, constate Patrick Mariotte, directeur général de KWS. C’est déjà le cas pour le développement de la cercosporiose avec la moindre efficacité des fongicides et la pression croissante année après année, ou avec l’interdiction des néonicotinoïdes pour lutter contre les pucerons vecteurs de jaunisse ».

De fait, on constate, depuis 2021, une pression et un développement très importants de la cercosporiose presque partout en France. Les sélectionneurs sont donc fort attendus pour apporter des solutions.

« En ce qui concerne la cercosporiose, le lancement des variétés Cerco+ est déjà une solution très efficace. Antonica KWS a donné satisfaction cette année », déclare Patrick Mariotte. Ces variétés sont dotées d’un nouveau gène de tolérance issu de la betterave sauvage Beta maritima, qui s’ajoute à d’autres gènes.

La société américaine Betaseed, qui est liée au groupe KWS, bénéficie également de ce même gène qui confère aux betteraves « une tolérance XXL à la cercosporiose », selon son directeur, Benoît Rose. « La cercosporiose est la maladie la plus importante dans le monde. Dans certaines régions des États-Unis, les agriculteurs doivent traiter 8 fois sans maîtriser complètement la maladie. La moitié de la surface betteravière américaine utilise des variétés Cerco+ », indique le directeur général de Betaseed France.

« Si l’année 2023 voit des contaminations exceptionnelles, c’est une tendance de fond », estime de son côté le directeur général de SESVanderHave France, Bruno Dequiedt, qui propose des variétés ayant un bon niveau de tolérance à la cercosporiose, dont « Caméléon, qui sera la variété la plus vendue en 2024 », pronostique-t-il.

Florimond Desprez (propriétaire de SESvanderHave) estime arriver au bon moment sur le marché de la cercosporiose, avec FD Équipe, une nouvelle variété inscrite en janvier 2023. « Une variété qui combine un gène majeur avec des gènes mineurs pour éviter le contournement », explique Faustine Duyck, responsable communication du semencier français.

Avec sa variété ST Olympe, Deleplanque utilise aussi une tolérance multigénique pour éviter les contournements par les quelque 260 souches de cercosporiose présentes en France, selon Maxime Bouton, directeur commercial de Deleplanque.

Maribo communique sur sa gamme Cercotech. « La cercosporiose est la maladie universelle du monde betteravier, explique Éric Dubert, directeur des activités betterave France de Maribo. Auparavant, nos essais étaient réalisés dans les pays de l’Est, maintenant nous travaillons sur les souches françaises. C’est une maladie très agile qui s’adapte vite en fonction des traitements. Pour cette maladie, on aura besoin de tolérances multigéniques, des traitements phytosanitaires et des outils d’aide à la décision (OAD) ».

La jaunisse, une spécificité française

Contrairement à la cercosporiose, qui est une maladie touchant le monde entier, la jaunisse préoccupe essentiellement la France, puisque nous ne disposons pas de l’acétamipride et de la flupyradifurone, comme beaucoup d’autres pays. Heureusement, le marché français pèse 400 000 hectares et valorise des semences très techniques.

Les six semenciers présents en France mettent des moyens de recherche importants sur la jaunisse. Ils ont en revanche différentes stratégies de communication concernant l’avancée de leurs recherches. Certains communiquent beaucoup, à l’instar de Deleplanque et Maribo. Les autres estiment qu’il est encore trop tôt pour affirmer que les variétés jaunisse sont aussi productives que les autres. Ils ont plutôt tendance à dire que l’ensemble des nouvelles variétés doivent de toute façon avoir un bon niveau de tolérance vis-à-vis de cette maladie pour le marché français.

« Nos variétés les plus récentes se comportent mieux face à la jaunisse », confirme Rémi Henguelle, directeur marketing de Florimond Desprez. La recherche prend du temps ; nous n’aurons pas de variété résistante avant 2026, mais la tolérance arrivera plus tôt ».

Dans la lutte contre la jaunisse, Maribo travaille sur une double approche, avec des variétés tolérantes estampillées VYtech pour les situations à faible pression et des résistantes pour sécuriser le rendement dans les situations de forte pression (voir BF 1172 p 20).

Tout comme Maribo, Deleplanque communique sur sa marque VitalY. « Nos variétés jaunisse préservent 80 à 85 % de leur rendement sur chacun des trois virus, explique Maxime Bouton. Dans deux ans, on devrait avoir comblé l’écart de rendement. Nous avons 7 variétés jaunisse sur les 10 que nous avons proposées à l’ITB-SAS en vue de la commercialisation 2024. Leur meilleur comportement en jaunisse permet à ces variétés de garder davantage de capital rendement et de robustesse avant de rencontrer un stress hydrique ou la cercosporiose ».

Du côté du groupe KWS, on explique que la tolérance à la jaunisse est développée sur tous les segments de marché. « Nous n’avons pas de variété tolérante mais améliorante pour le moment », préfère dire Benoît Rose de Betaseed.

SESVanderHave ne communique pas sur des variétés jaunisse mais a annoncé, en septembre dernier (voir BF 1169 p 25), l’identification d’un gène de résistance au virus (BChV) de la jaunisse de la betterave, en collaboration avec l’IfZ (Institut de recherche sur la betterave sucrière en Allemagne). « Cette découverte offre un grand potentiel pour les programmes de sélection de la betterave sucrière dans le monde entier, déclare Hendrik Tschoep, directeur de la sélection. Ce gène a été trouvé assez rapidement et nous travaillons sur les autres virus ».

Les nématodes, un marché très bataillé

L’autre évolution notable dans l’offre semencière est la progression des variétés tolérantes aux nématodes. KWS est toujours leader sur ce créneau, qui représente un tiers des ventes en France, mais le groupe allemand est désormais challengé par ses concurrents.

« SESVanderHave a surtout progressé sur le segment des variétés tolérantes aux nématodes, en passant de 15 % à 23 % de ce marché, dévoile Bruno Dequiedt. Nous étions un peu en retrait sur les nématodes, alors que nous sommes leaders sur le segment de la rhizomanie ».

Deleplanque espère aussi progresser sur ce segment, tout comme Florimond Desprez qui était jusque-là faiblement représenté.

« Le marché du nématode est très bataillé, constate Éric Dubert représentant la société Maribo, qui est depuis peu sur ce créneau.

Les autres ravageurs sont également surveillés de très près, car les cicadelles, les teignes, et autres charançons deviennent plus agressifs. La recherche sur la tolérance aux insectes risque d’occuper les sélectionneurs dans les années à venir !

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(1) Le CTPS, qui regroupe professionnels et représentants de l’administration, est l’instance chargée de proposer au ministre de l’Agriculture l’inscription au catalogue officiel des nouvelles variétés.

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Une sélection qui se complexifie

Le progrès génétique s’apparente à une véritable course d’obstacles. Les sélectionneurs doivent résoudre les problèmes un à un : apparition de nouvelles maladies ou de nouveaux ravageurs, disparition de produits phytosanitaires, aléas climatiques…

La sélection des semences de betteraves sucrières s’est fortement complexifiée. « Le sélectionneur travaille 35 traits (caractéristique déterminée de manière génétique, souvent par plusieurs gènes), mais les 5 plus importants sont : le sucre/ha la jaunisse, les nématodes, la cercosporiose et la forte pression de rhizomanie (FPR) qui concentrent l’essentiel du budget recherche », explique Laurent Boiroux, directeur de la recherche et du développement du groupe Deleplanque.

Pendant longtemps, les seuls objectifs de la sélection visaient l’amélioration du poids, de la richesse et de la qualité d’extraction du sucre, même s’il y a eu, dans les années soixante, la mise au point des monogermes génétiques, qui a permis de se passer du démariage.

Ensuite, les sélectionneurs ont trouvé des solutions pour la rhizomanie dans les années quatre-vingt, puis le rhizoctone brun, les nématodes, la FPR ou les maladies du feuillage.

À chaque étape, les sélectionneurs ont cumulé plusieurs tolérances sur les variétés pour que les agriculteurs, confrontés à différents agresseurs, puissent garder un niveau de productivité élevé.

Trois segments sont déclarés lors de l’inscription des variétés au catalogue officiel : la rhizomanie, les nématodes et le rhizoctone brun. Le segment des nématodes est en augmentation et atteint 33 % du marché en 2023. Le marché des variétés tolérantes au rhizoctone brun est marginal (1 %). Il y a également des sous-segments, comme la tolérance peu forte à la cercosporiose qui commence à peser lourd. Cette maladie, qui sévissait essentiellement en Alsace et dans le sud de Paris, a tendance à s’étendre sur tout le territoire. L’autre sous-segment est la FPR qui concerne un peu moins de 40 000 hectares au sud de Paris et qui est aussi en progression dans les autres régions.