En mars dernier, je photographie à Dakhla, aux confins du Maroc, près de la frontière mauritanienne, des limicoles sur la plage. Il y en a des quantités : barges, bécasseaux, pluviers argentés, huîtriers pie, courlis corlieux, chevaliers, tournepierres. Dakhla, un petit village perdu il y a trente ans – connu seulement des pêcheurs de courbines (maigres) – est devenu aujourd’hui… la capitale mondiale du « Kitesurf » ! C’est par charters entiers que déboulent les jeunes sportifs. Au rythme actuel de construction des hôtels, Dakhla sera bientôt Marbella. En regardant mes prises de vues, je m’aperçois qu’un bécasseau variable porte une bague jaune en haut de la patte droite et une autre, orange, en haut de la patte gauche. D’où vient-il ? Revenu en France, je me mets d’abord en relation avec le Muséum d’Histoire Naturelle en envoyant la photo. Je reçois assez rapidement une réponse très aimable du Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux (CRBPO). Ce centre me dit ne pas marquer les oiseaux avec des bagues colorées mais uniquement avec des bagues métalliques. Il me renvoie sur un site britannique qui, lui, utilise des bagues de couleur. Contacté, son responsable m’adresse le mail d’un organisme de « baguage » du Pays de Galles. Tony Cross – c’est le nom de son secrétaire – répond aussitôt. Il m’apprend que ce bécasseau variable (marqué BY09474) a été bagué le 28 août 2022, dans le parc national d’Ynyslas, près d’Aberystwyth ! Il est très content, car c’est la première observation de l’oiseau depuis son marquage. Il dit aussi qu’au cours des cinq dernières années, les équipes britanniques ont bagué 6 000 bécasseaux variables et qu’on en a retrouvé au Groenland, en Islande, en Suède, en Finlande, en Estonie, au Danemark, en Allemagne, en Mauritanie et en Gambie.

En sept mois, « mon » bécasseau a donc parcouru 3 600 km, ce qui n’est pas mal pour un si petit oiseau !

Une enquête émouvante

Les chasseurs de gibier d’eau sont directement concernés par le baguage. D’abord, ils sont très souvent sur le terrain. Ensuite, il peut leur arriver de prélever une espèce de gibier baguée – canard, chevalier gambette, aboyeur, arlequin, combattant, bécasseau maubèche, huîtrier pie. Enfin, ils peuvent aussi observer des sujets protégés et bagués dans leurs jumelles.

Ajoutons que cette observation est toujours intéressante. D’où vient l’oiseau ? Quelle distance a-t-il parcourue ? Quand a-t-il été bagué ? Autant d’énigmes à résoudre.

Chaque pays a ses méthodes et ses bagues. Les bagues françaises sont métalliques, alors que celles de nos voisins sont colorées et en plastique.

Si vous êtes en présence d’un oiseau bagué, qu’il soit mort ou vif, il faut absolument prendre une photo. Ou bien relever dans les jumelles tous les détails : couleur de la bague, matière, emplacement sur la patte, nombre de bagues etc. Ensuite, le mieux est de contacter un spécialiste du CRBPO (par exemple Romain Provost, adresse mail : romain.provost@​mnhn.fr), il vous aiguillera. Les organismes de baguage mondiaux se connaissent et sont en contact régulièrement. Notez aussi le site des marques en couleur : « European colour-ring Birding ». Il donne toutes les explications pour contacter la bonne personne, celle qui vous permettra d’identifier l’oiseau.

11 jours et 11 nuits sans se poser …

Ces campagnes de suivi ont permis de découvrir des parcours ahurissants. Une barge rousse à queue barrée a eu récemment les honneurs de la presse. Elle a parcouru 13 560 kilomètres de l’Alaska à la Tasmanie, sans s’arrêter pour se nourrir ou se reposer. Cette traversée de l’océan Pacifique sans escale est considérée comme la plus longue jamais réalisée par un oiseau migrateur.

Comme le souligne le livre Guinness, qui a homologué ce record, la distance parcourue « équivaut à deux trajets et demi entre Londres et New-York, soit environ un tiers et demi de la circonférence totale de la planète ». Un exploit réalisé en 11 jours, 11 nuits, 1 heure, sans escale ! L’oiseau n’était pas bagué mais constamment suivi par GPS.

En 2020, une autre barge avait déjà sillonné plus de 12 000 kilomètres en onze jours de vol. Record battu !

Un comportement étonnant

Les limicoles sont les champions des grands voyages. On observe les « Européens » en hivernage en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie, au Tchad, au Cameroun. L’altitude de croisière peut atteindre, voire dépasser, 3 000 m. Les oiseaux s’adaptent très bien à l’environnement, même si celui-ci diffère fondamentalement de leurs quartiers de printemps et d’été. Je me souviens, à Nouadhibou (Mauritanie), avoir vu des barges rousses quitter la grève et venir se nourrir d’asticots aux abords de l’abattoir de chameaux ! Le comportement des limicoles est parfois étonnant. Au Tchad, au cours d’une « passée » au bord d’un grand marais, j’ai vu défiler au-dessus de ma tête pendant dix bonnes minutes des centaines de chevaliers combattants. Où allaient-ils ?

Mystère. Beaucoup de questions subsistent. Pourquoi tel pays plutôt que tel autre ? Pourquoi telle grève ? Tel marais ? Pourquoi s’en vont-ils du jour au lendemain ? Pourquoi n’y a-t-il jamais aucune collision dans ces vols, aile dans aile, de milliers d’oiseaux ?

Qu’est-ce qui peut bien se passer dans un si petit cerveau ? Méditons en contemplant la photo du voyageur bagué …