A 66 ans, Thierry Laporte est encore un sacré battant. Rien ne semble devoir arrêter le projet d’usine de frites surgelées qui a germé dans son esprit en 2017. Ni la crise sanitaire, ni les contraintes administratives, ni ses difficultés financières passagères dues à une conjonction de facteurs, ni ses bisbilles avec la communauté de communes qui lui a vendu le terrain. Président-fondateur de la SAS Fruits de la Terre (quinze salariés), société spécialisée dans le négoce et le conditionnement de pommes de terre, principalement pour le marché espagnol, Thierry Laporte s’est lancé le défi de « construire la première usine 100 % française ». Objectif : répondre à ce qui lui semble être une absurdité : vendre des pommes de terre aux industriels belges qui nous les retournent sous forme de frites. Cette usine de 350 mètres de long sera installée à proximité de son entreprise, à Torcy-le-Petit dans l’Aube.

50 000 tonnes de frites par an

L’usine produira 7 tonnes de frites par heure, 24 heures/24, environ 250 jours par an, soit une production annuelle de 50 000 tonnes de frites. Ce qui impliquera de faire rentrer 100 000 tonnes de produit brut par an, correspondant à 2 000 ha de culture. Les champs pourront être trouvés en partie sur l’ancien finage de la féculerie de Tereos à Haussimont fermée en 2023. La ligne de frites sera accompagnée d’une ligne de flocons, et une seconde ligne de frites pourra leur être adjointe, sans extension du bâtiment. « Le terrain est suffisamment grand pour recevoir quatre fois la même usine », s’enthousiasme l’agriculteur, qui continue d’exploiter des terres dans la Marne. C’est un projet à près de 60 millions d’euros, auquel la Banque des Territoires et un groupement d’une trentaine de producteurs spécialement constitué, participent via une nouvelle entité juridique, la société Teridis. Le porteur de projet se positionne plutôt sur le haut de gamme et vise le marché français à travers les centrales d’achat et les enseignes de surgelés comme Picard et Thiriet. Sans les divers contretemps, l’usine aurait dû voir le jour au plus tard en 2023, sachant que la plate-forme du site et le gros œuvre de la station d’épuration ont été réalisés dès 2019. Elle emploiera une soixantaine de personnes.

Un nouveau procédé de conservation

Avant de faire le grand saut industriel, Thierry Laporte avait « mis le pied à l’étrier » de la transformation en lançant sa propre marque de chips, Auboiselle, en 2019, avec un démarrage effectif en 2021. Une chips artisanale, cuite au chaudron, économe en sel et en graisse, dont la production culmine à 30 tonnes par an, nécessitant 120 tonnes de produit brut. Auboiselle est vendue surtout dans son département d’origine (deux cents points de vente) et dans les Intermarché du Grand Est. La ligne est installée chez Fruits de la Terre, où elle est activée une semaine tous les deux mois.

Le président de Fruits de la Terre vient de franchir un degré supplémentaire sur l’échelle industrielle en rachetant l’usine Ghisetti 1870, située non loin de là, sur la commune du Chêne. Cette PME de dix-sept personnes y prépare des pommes de terre cuites sous vide, prêtes à l’emploi, exclusivement pour le marché italien. Cette acquisition doit beaucoup aux circonstances. Tout est parti d’un numéro de l’émission Capital sur M6, dans laquelle Thierry Laporte était interviewé et qu’a vue le chef cuisinier isérois Jean-Marc Tachet. Il se trouve que celui-ci a fait breveter un procédé de conservation des aliments crus par imprégnation, permettant de tripler la DLC et de se passer de précuisson. C’est ainsi que la connexion s’est faite avec l’agro-industriel aubois, pour lancer une ligne de production exploitant cette innovation. « Fruits de la Terre n’ayant pas la place et l’usine de frites n’étant pas encore sortie de terre, nous avons sondé Ghisetti, qui est l’un de nos clients », raconte Thierry Laporte. Il s’avère que la société est en difficulté financière et qu’elle envisage même de fermer ses portes. L’occasion faisant le larron, le chef d’entreprise décide de la racheter, comme il l’avait fait quelques années auparavant pour sauver un atelier de mécanique de précision voué à la disparition. « C’est une opération de croissance externe qui nous amènera à doubler le chiffre d’affaires de Fruits de la Terre », se réjouit l’entrepreneur. Une nouvelle société a vu le jour sous le nom de Fruits 1870, assortie d’un investissement de 5 millions d’euros. La nouvelle ligne sera opérationnelle dans un an, et l’actuelle laissée en service jusqu’à une date indéterminée.

C’est donc deux projets industriels que Thierry Laporte mène actuellement de front. Pas mal pour un agriculteur titulaire d’un simple Bepa et qui a commencé à voler de ses propres ailes en 1992. Comme il le dit lui-même : « Il faut prendre des risques, sinon on n’avance pas. »