« Le mouvement n’est pas terminé, il se transforme », déclarait le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, le 1er février dernier après le troisième train d’annonces du Premier ministre. Et d’ajouter que même si « nous n’allons pas régler en quelques jours 20 ans de désarmement agricole, il faudra des premiers résultats au Salon de l’agriculture ». Le président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’Agriculture seront attendus de pied ferme et devront montrer qu’après les paroles, il y aura des mesures concrètes.

Le Salon sera donc le premier point d’étape d’un processus qui s’étalera jusqu’au début de l’été, avec en ligne de mire la loi d’orientation agricole, qui posera le principe de souveraineté alimentaire. On assisterait alors à un véritable retournement des politiques publiques vis-à-vis de l’agriculture, à l’image du tête-à-queue effectué sur le nucléaire !

Ce coup de projecteur a permis de changer le regard sur l’agriculture et de vérifier que l’opinion publique est toujours du côté des agriculteurs. Les coups de klaxon et les encouragements des automobilistes bloqués sur les autoroutes étaient la preuve la plus visible. « Le soutien des Français nous a donné de la force », admettait Arnaud Rousseau, en annonçant la fin des blocages.

« On ne fera pas de surtransposition »

Cette crise a débouché sur quelques annonces concrètes, comme l’abandon de la réforme sur le GNR, les avances de trésorerie ou les mesures de simplification, qui vont arriver au fur et à mesure que les décrets tomberont.

Mais beaucoup reste à faire. Pour les grandes cultures, il s’agit de changer la politique française vis-à-vis des produits phytosanitaires. Le Premier ministre a certes repris dans son discours le slogan « pas d’interdiction sans solution », mais il reste à savoir comment il compte s’y prendre. « Nous allons recaler le calendrier européen et le calendrier français concernant l’examen de réhomologation des produits phytosanitaires. La conséquence est claire : on ne fera pas de surtransposition sur les différentes substances », a déclaré Gabriel Attal.

Et concernant l’Anses, qui avait tendance à prendre les devants sur les interdictions de produits phytosanitaires : « nous sortirons d’une situation où notre agence sanitaire se prononce sur des produits sans coordination avec le régulateur européen ».

Le ministre de l’Agriculture explique qu’il faut désormais une trajectoire coordonnée au niveau européen. Tout cela semble très bien, mais qu’en est-il des produits déjà interdits en France ? On pense bien sûr à l’acétamipride utilisé par plusieurs pays européens, essentiellement dans les deux grands pays betteraviers que sont l’Allemagne et la Pologne. La CGB demande son retour mais Marc Fesneau s’abrite derrière le principe de non-régression en matière environnementale. Interrogé à ce sujet le 6 février lors de la conférence de presse de présentation du Salon de l’agriculture, le ministre a répondu : « en 2016, il a été décidé d’interdire les néonicotinoïdes et apparentés, ce qui était une erreur. On ne va pas faire des marches arrière et des marches avant permanentes », (…) « S’il y avait lieu de changer quelque chose, il faudrait une loi. On est plutôt à travailler, nous, sur les alternatives. (…) Le sujet n’est pas de revenir en arrière sur ces sujets-là. Essayons d’éviter les surtranspositions à venir. Alignons-nous sur le calendrier européen ».

Il faudrait donc une loi pour éliminer les surtranpositions passées. C’est justement ce que propose le Sénateur Laurent Duplomb dans sa proposition de loi « tendant à répondre à la crise agricole ». (voir ci-contre)

Vers la fin du Nodu

L’autre grand sujet est l’annonce de la mise en pause du plan Écophyto. Mais très vite, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a martelé que le principe de réduction des phytos n’est pas remis en cause. Le débat se focalise donc sur la mise en place d’un nouvel indicateur. Le Nodu (nombre de doses unités), indicateur historique du plan Écophyto, est remis en question. Marc Fesneau explique : « cet indicateur est basé sur les molécules les plus toxiques. Qu’est-ce qui se passe ? Quand vous avez une molécule très toxique avec laquelle vous faites un seul passage, que vous la remplacez par une molécule qui ne pose pas de problèmes environnementaux ou de cancérogénicité, votre indicateur se dégrade. Pourquoi ? Parce que vous faites deux passages ou trois passages ».

On s’acheminerait donc vers un indicateur qui tient compte de la toxicité de la molécule, comme celui utilisé au niveau européen : le HRI-1. Cet indicateur est jugé plus pertinent par la profession agricole, mais rejeté par les ONG environnementales.

Par ailleurs, la suppression du conseil stratégique sur les pesticides a été annoncée, mais le gouvernement s’engage « à travailler à un conseil réformé, simple et sans surcharge administrative ». En revanche, il n’y a pas un mot sur la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques. Une mesure sur laquelle la proposition de loi du Sénat veut revenir car « pénalisant l’agriculture française par rapport aux pays voisins ».

Abandon du règlement européen SUR

Les manifestations, qui se sont propagées dans plusieurs pays européens, ont aussi fait bouger les lignes. En signe d’apaisement, la Commission a proposé le 31 janvier une dérogation temporaire sur la jachère et la protection de trois produits agricoles sensibles vis-à-vis des importations ukrainiennes, dont le sucre (voir page 9). La FNSEA attend aussi des décisions fortes sur les céréales, qui ne sont pour l’instant pas concernées.

Il faut quand même noter que l’annonce sur la jachère a une portée moins importante que l’année dernière, où les 4 % avaient été suspendus entièrement sans conditions. En 2024, les agriculteurs pourront bénéficier des aides de la PAC seulement s’ils atteignent 7 % de cultures intermédiaires ou fixatrices d’azote (lentilles, pois…) sans usage de produits phytosanitaires.

Enfin, un autre symbole a aussi été écorné : le fameux règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR) qui, selon Ursula von der Leyen, « est devenue un symbole de polarisation ».

La présidente de la Commission européenne a annoncé devant les députés européens, le 6 février, le retrait de la proposition de règlement SUR. La question reviendra sans doute assez vite sur le tapis. Mais d’ici là, l’abandon de ce règlement, qui reprenait les objets français de baisse de produits phytosanitaires, pourrait mettre de facto la France en situation de surtransposition avec son plan Écophyto !