Les projets, elle aime ça. « C’est mon truc », assure Antoinette Sainte-Beuve, agricultrice à Neuville-Saint-Amand, aux portes de Saint-Quentin, dans l’Aisne. Concevoir, décider, mettre en place et mesurer le chemin parcouru depuis son installation en 2011 le prouve. Alors salariée dans l’animation scientifique à Paris, BTS agricole et maîtrise de biologie en poche, elle s’installe à la suite de ses parents. Elle embarque mari et enfants (3 filles aujourd’hui) dans l’aventure. Ses parents déménagent à Lille et elle dans le corps de ferme. « Je me suis retrouvée seule à la tête des 180 hectares, avec le salarié. J’ai beaucoup appris avec les collègues et au Ceta, mais surtout… sur le tas », confie-t-elle.

Quand elle n’est pas sur son tracteur, elle met aux normes l’entreprise et diversifie l’assolement. Elle mutualise les travaux avec la ferme de son cousin qu’elle gère à façon, soit au total 320 ha. Comme si cela ne suffisait pas, elle s’engage comme vice-présidente pour l’installation des Jeunes Agriculteurs de l’Aisne (dossier qu’elle suit toujours comme élue de chambre d’agriculture).

En 2017, un voisin lui propose de s’associer pour créer un méthaniseur à injection. La localisation de la ferme à 800 mètres du réseau GRDF de Saint-Quentin est idéale. « L’équilibre financier de la ferme était fragile. C’était une solution à tenter : essayer pour ne pas avoir de regrets. Je ne me voyais pas toute ma carrière sur un tracteur », raconte l’audacieuse entrepreneuse. Deux ans de projet et neuf mois de construction plus tard, le méthaniseur, le centième de France à injection gaz, est prêt à passer progressivement à 260 nm3. Son associé gère les approvisionnements et le plan d’épandage (1 700 ha), Antoinette le suivi biologique et technique. Mais rapidement la charge de travail entre la ferme et la méthanisation devient trop importante pour l’agricultrice.

Le choix d’un accompagnement humain

Pierre, son mari, fils d’agriculteur de l’Oise, occupe alors un poste de cadre dans la finance. À ses études de comptabilité, il choisit d’ajouter un bac agricole, tout en hésitant à revenir dans la ferme. « Cela n’avait de sens que si j’apportais de la plus-value, avoue-t-il, d’autant plus que conduire le tracteur ou effectuer les travaux de mécanisation n’est ni mon fort, ni mon objectif ». Autre interrogation, comment travailler en couple, concilier vie familiale et vie professionnelle? L’année 2016 et les résultats économiques catastrophiques créent encore plus d’incertitudes.

« Nous étions le nez dans le guidon, se souvient Pierre, sans trop savoir où nous allions et comment. Le salarié de la ferme arrivant à la retraite, nous avions du mal à nous projeter ». Le couple décide alors de faire appel à un coach spécialisé dans l’accompagnement des agriculteurs pour leur projet (Michel François de Cresco conseil). « Nous avons travaillé sur nos valeurs, ce qui fait sens pour nous, et défini nos priorités. Nous avons aussi appris à comprendre le fonctionnement de chacun et nos talents sur lesquels nous appuyer ».

Des tâches bien définies pour une organisation optimale

Question rôle, en plus du méthaniseur, Antoinette gère l’exploitation, notamment l’agronomie. Pierre se concentre sur la mise en œuvre. Il exerce ses compétences acquises dans la gestion administrative et la finance au profit des diverses entités (l’EARL, le Groupement d’employeur, une holding, la SCI pour les bâtiments ainsi que le méthaniseur). Il conserve une activité de conseil en finance. Il développe aussi de nouveaux projets, comme l’installation de panneaux photovoltaïques – 1 500 m2 déjà réalisés, soit 245 kw- et dernièrement l’irrigation. Celle-ci est gérée en même temps que l’installation souterraine des tuyaux transportant le digestat dans les parcelles (2 km de tuyaux pour 90 % de la sole). L’irrigation va permettre de développer d’autres cultures alimentaires, comme le pois de conserve.

« Notre réflexion nous a conduits à créer un emploi salarié dans l’exploitation et un pour le méthaniseur. Et ce tout en occupant des fonctions qui ont du sens pour nous », s’enthousiasme Antoinette. Le couple a organisé un système où chaque tâche peut être réalisée par un titulaire ou par un suppléant. Ce qui donne de la sécurité en cas de maladie ou de prise de congés.

« La méthanisation a été une vraie chance pour nous, estiment-ils. Nous avons transformé la contrainte périurbaine en atout. Avec la valeur créée, nous développons d’autres projets. Nous investissons dans du matériel plus performant ». Prochaine étape : valoriser le corps de ferme en brique et développer l’énergie photovoltaïque.