Issu du milieu agricole, Romuald Carrouge a fait un large détour, dans le temps et dans l’espace, sans toutefois s’éloigner complètement de son univers d’origine. En 2008 déjà, alors qu’il est encore élève ingénieur agri à Lille, il part en stage dans le Dakota, aux USA, « pour voir des plaines et des gros tracteurs ». Puis le voici journaliste stagiaire à La Marne Agricole, avant d’entamer véritablement sa carrière professionnelle en 2012. Ce sera dans le vin, d’abord dans le champagne (n’est-il pas natif d’Épernay, ville réputée pour en être la capitale ?), puis dans le vin de Cahors. Il y explore tout le spectre de la profession. « J’ai travaillé dans une coopérative, chez un vigneron indépendant et dans un grand groupe. J’ai été amené à négocier avec des grossistes et des grands comptes. » Il touche à la gestion commerciale et au marketing, mais aussi à l’informatique et à la logistique. Fort de tous ces savoir-faire, Romuald Carrouge se met, en 2018, à son propre compte dans la communication, le conseil, la gestion de projets et la création de contenus à destination du monde agricole. Le vrai tournant survient deux ans plus tard, lorsqu’il doit venir dépanner en urgence la ferme familiale au moment de la moisson. S’ensuit une période d’allers-retours entre Valence, où il habite, et Broussy-le-Petit, siège de l’exploitation, qui est en réalité répartie sur deux sites. Fin 2022, sa femme et lui se fixent dans la Marne, lui d’abord comme salarié de la ferme, avant d’en reprendre les rênes en mars 2023 aux côtés de sa mère. Il arrive avec son « appétence pour les chiffres et les nouvelles technologies », lui qui se définit comme un « bon geek » et un « marketeur du XXe siècle ». « Je ne suis pas revenu pour poser le cul dans un tracteur, explique-t-il, mais pour mettre dix ans d’expérience professionnelle au service de l’exploitation. »

Créateur d’une marque commerciale

Son approche du métier peut se résumer en trois idées : la « vision d’un chef d’entreprise », le sens du collectif et la mise en œuvre d’une agriculture de conservation des sols. Commençons par le collectif : Romuald Carrouge a participé à la création d’une Cuma (baptisée Terre Vers et Cie, car « les vers sont nos amis ») et d’un groupement d’entraide agricole avec son voisin, convaincu « qu’il faut composer avec les compétences de chacun ». Les siennes, ce sont bien sûr, et entre autres, le marketing, la prospection commerciale et la création de sites Web. Il a lancé en parallèle une marque collective, C’Mon Pote Agri, qui commercialise des lentilles noires, vertes et corail destinées, dans un premier temps, à la restauration collective et aux magasins proches. Un contrat avec un grossiste pourrait permettre d’étendre le périmètre de vente. L’agriculteur a, en tout cas, investi dans un atelier de conditionnement pour ses légumineuses. On va voir que tout s’emboîte, car ces légumineuses font partie d’une stratégie de mise en place d’une agriculture de conservation des sols qui fait la part belle aux semis directs, aux couverts végétaux, au recours minimal à la mécanisation, à la suppression des intrants chimiques, à l’usage de matières organiques et à l’allongement des rotations (entre 5 et 7 ans). « Pratiquer l’agriculture de conservation des sols, c’est faire en permanence de la R&D », observe-t-il.

Stockeur de carbone

En digne agriculteur de son temps, Romuald Carrouge cherche à concilier respect de l’environnement et réalisme économique. Il estime « qu’un agriculteur doit aujourd’hui avoir une vision de chef d’entreprise et une approche budgétaire de son exploitation ». Ce qui passe par la recherche de nouvelles sources de revenus. Lui-même en a trouvé une, qui coïncide avec la double injonction de respecter la planète et d’être un gestionnaire avisé : le stockage de carbone. Depuis deux ans, le Champenois se fait rémunérer par la société Soil Capital, au prorata des tonnes de CO2 (et plus largement de gaz à effet de serre) piégées dans ses champs. « Tous les ans, on fait le bilan carbone de la ferme, entre ce qui est émis et séquestré. Il s’avère que je suis stockeur net de carbone grâce à mes pratiques culturales. » Pour sa première campagne sous ce régime, sa ferme a stocké 2,6 t de CO2 par hectare, ce qui lui a rapporté environ 12 000 euros, à raison de 27,5 €/t. Cela a généré 450 certificats carbone revendus à des entreprises émettrices de dioxyde de carbone. « C’est mon humble contribution à la lutte contre le dérèglement climatique, souligne Romuald Carrouge. Ce que l’on fait va dans le sens de l’histoire. Je suis persuadé que l’agriculture peut être une des solutions pour sauver la planète, mais encore faut-il que l’agriculteur reçoive une juste rétribution des services qu’il rend à la société. »