Malgré un très léger recul du rendement moyen à l’hectare (43 tonnes) par rapport à 2024, la récolte de pommes de terre de conservation devrait, cette année, exploser les compteurs. Selon les premières prévisions de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT), transmises fin août, 8,5 millions de tonnes pourraient être arrachées au cours des prochaines semaines. Si ce chiffre se concrétise, la filière française afficherait une récolte inédite depuis plus de dix ans. Cette envolée ne se limite d’ailleurs pas aux frontières françaises. Dans la zone NEPG (Belgique, Allemagne, France, Pays-Bas), les estimations tablent sur une récolte de 27,3 Mt, soit 11 % de plus qu’en 2024. Face à cette offre débordante, plusieurs dizaines de milliers de tonnes ont été redirigées vers l’alimentation animale, les unités de biométhanisation ou le compostage, informe le NEPG.

Cette évolution s’explique en partie par l’augmentation des surfaces observée partout en Europe depuis 2023 – en France, elles ont bondi de 25 % pour atteindre 197 000 hectares – mais aussi par les stocks importants de la campagne 2024 et la demande croissante des industries de la transformation. Trois usines sont ainsi prévues d’ici à 2030 dans l’Hexagone. « Dès 2022, nous avions calculé que 40 000 hectares supplémentaires seraient nécessaires pour répondre à cette nouvelle demande, rappelle l’UNPT. Or, ce chiffre est déjà quasiment atteint alors qu’une seule usine est sortie de terre. Une deuxième devrait être achevée courant 2026. Quant au troisième projet, il n’est prévu que sur le papier. » En France, l’UNPT a pourtant multiplié les appels à la prudence et à la tempérance : « Depuis un an et demi, nous répétons qu’il ne faut pas devancer la demande, pour éviter un effondrement des prix. »

Des contrats revus à la baisse

Ce scénario catastrophe semble malheureusement s’être concrétisé. Pour les volumes non contractualisés (environ 10 à 15 % de la production nationale) vendus sur le marché libre, les prix ont dégringolé. « A 15 €/t, il est hors de question que les tonnages soient livrés, prévient l’UNPT. Nous disons aux producteurs d’attendre ou de ne pas récolter. » La situation pourrait être particulièrement préoccupante pour les nouveaux producteurs ayant contractualisé de faibles tonnages, et devant donc écouler la majorité de leur production sur le marché libre. Les volumes hors contrat pourraient par ailleurs être légèrement plus importants cette année, en raison du repositionnement de plusieurs industriels. « Depuis quelques mois, nous assistons à des révisions de contrats unilatérales, ne respectant pas les engagements moraux pris par les agents de plaine et des industriels avant la plantation », gronde l’UNPT.

Clarebout, le plus gros acheteur de France, a ainsi réduit de 10 % le montant des volumes éligibles à la contractualisation, deux semaines avant les plantations. Bien trop tard pour espérer s’adapter du côté des planteurs. Le groupe McCain n’a pas tardé à imiter son concurrent et à faire une annonce similaire. Le négociant Vervaeke a, pour sa part, renégocié à la baisse d’environ 20 % des volumes sous contrats déjà signés. Il en va de même pour l’entreprise Mousline (voir p.24). « Seule l’industrie de la chips s’est montrée très respectueuse des contrats », tient à souligner l’UNPT, qui plaide pour que ceux-ci « restent un élément de stabilité » de la filière. « Nous serons vigilants à ce qu’ils soient respectés mutuellement : en volumes et en prix par les industriels, sans abus d’interprétation des cahiers des charges ; et en qualité par les producteurs. » Pour sa part, la Fédération nationale des transformateurs de pommes de terre réfute ces accusations et assure que « la contractualisation ne recule pas ».

Les inquiétudes et les tensions dépassent le cadre du marché de la pomme de terre de conservation. Sur le marché du frais, qui s’illustre par un plus faible taux de contractualisation, les rendements sont annoncés plutôt en recul. Fin août, la Fédération nationale représentant des acteurs de la semence et du négoce en pomme de terre, Fedepom, s’inquiétait de « cours à date au plus bas sur les volumes non contractualisés au stade agricole, en raison d’emblavements tous azimuts, effectués sans aucune garantie de débouchés et sans capacité de stockage ».

Vers une baisse des surfaces en 2026

Reste à voir, désormais, si le potentiel de rendement annoncé se confirmera après la récolte, qui dépendra aussi des conditions météorologiques. L’UNPT mentionne ainsi des conditions de sécheresse « un peu inquiétantes » qui pourraient entraîner des reports de dates d’arrachage. « Il ne faudrait pas que ça dure un mois car nous pourrions basculer dans quelque chose de moins favorable », prévient l’UNPT. Des discussions sont prévues pour gérer la conjoncture actuelle. D’autant plus que l’organisation, tout comme l’ensemble des pays de la zone NEPG, s’attend à une réduction significative des surfaces plantées en 2026. Tout l’enjeu sera d’en mesurer l’ampleur : celle-ci se limitera-t-elle à un simple rééquilibrage entre l’offre et la demande, ou bien sera-t-elle plus importante, jusqu’à entraîner un redressement des prix ? « La réorganisation des surfaces est, dans tous les cas, certaine, les producteurs ne vont pas continuer à produire pour un marché qui n’existe pas », résume l’UNPT, qui plaide en faveur d’une revalorisation du prix du risque, pour assurer la stabilité économique de la filière.

Crise de croissance

A contrario, aucune baisse des coûts de production n’est attendue ni espérée pour l’année à venir. Les représentants des producteurs européens appellent à une clarification des perspectives de développement et à une « communication accrue » entre les différents acteurs de la chaîne de valeur. Des échanges d’autant plus essentiels dans un contexte géopolitique tendu, où le taux de change entre l’euro et le dollar pénalise l’ensemble de l’industrie européenne. « Les coûts de production des producteurs européens n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières années, rappelait le NEPG en juin dernier. Les prix européens des frites congelées et d’autres produits transformés sont plus élevés que les prix canadiens, et encore plus que les prix chinois ou indiens, principalement en raison des coûts plus élevés de l’énergie et du fret. » Si la filière française, première exportatrice mondiale, doit composer avec une concurrence accrue et un contexte économique et climatique qui se complexifie, ses acteurs entendent bien garder le cap. « Les perspectives de croissance à l’horizon 2030 restent inchangées à l’échelle mondiale, rappelle l’UNPT. L’industrie continue de croire dans le développement de la pomme de terre en Europe. En France, nous traversons une forme de crise de croissance, nous nous sommes un peu trompés de chemin, mais nous savons où nous voulons aller. »