Face à un arsenal phytosanitaire qui se réduit comme peau de chagrin pour les planteurs, les semenciers ont engagé une réelle montée en compétences de leur offre. Objectif : permettre aux betteraviers de faire front le plus largement possible face aux attaques menaçant leurs cultures. Une grande partie des efforts se focalisent sur la cercosporiose qui, bien que peu présente cette année, demeure, lors des achats de semences, un critère de choix central. Les semenciers l’ont bien compris, en développant des gammes et labels spécifiques, identifiant des variétés très tolérantes à la maladie. Chez SESVanderHave, entré cette année sur ce marché, le sujet concentre une grande partie des efforts de recherche, avec le développement des variétés SV3017 (rhizomanie) et SV3024 (nématodes) qui seront inscrites au catalogue en janvier 2026.
« C’était un manque dans notre gamme, cela va nous donner un plus », assure Bruno Dequiedt, le directeur général du groupe, qui rappelle que ces variétés sont à privilégier pour les zones très touchées par la cercosporiose et les arrachages tardifs. Betaseed, qui a lancé l’an dernier deux variétés Cerco + (BTS 2620 et BTS 2030), a justement mené des essais sur des arrachages réalisés à la mi-novembre. « L’écart de productivité en faveur des variétés Cerco + est de 10 tonnes par rapport aux variétés classiques », indique Benoît Rose, le directeur de Betaseed France. Une différence qui s’expliquerait par la capacité des variétés Cerco + à continuer leur développement et éviter les repousses.
Vigilance sur les résistances
Présent également sur ce segment, avec le lancement cette année de la variété Alaska, Florimond Desprez se montre lui aussi réfléchi dans son approche. « Les Cercotech sont une arme de plus pour les derniers tours d’arrachage, mais nous ne nous focalisons pas uniquement sur cette gamme. Nous travaillons aussi des souches de cercosporiose différentes, pour limiter les risques de résistance, explique Hubert Loiseaux, responsable du développement chez Florimond Desprez. Cette vigilance est partagée par la grande majorité des semenciers. Leader sur ce segment de marché, KWS va ainsi adapter la mise en marché de la variété Cerco + Antonica KWS pour éviter la multiplication de souches de cercosporiose spécifiques. « Ce phénomène est arrivé plus rapidement que prévu. Il influence notre stratégie, avec le dépôt de nouvelles variétés assorti d’un niveau de tolérance encore plus important, explique Patrick Mariotte, directeur général de KWS France. L’objectif est de trouver la bonne proportion de Cerco + dans chaque région avec le bon équilibre variétés cerco/variétés Cerco+. » Le groupe poursuit ses efforts de sélection sur ce segment, avec le dépôt de nouvelles variétés au CTPS (Comité technique permanent de la sélection) et la commercialisation en 2026 de Patrizia KWS.
Petit nouveau aux grandes ambitions, suite au rachat de Deleplanque au printemps dernier (voir page 18), RAGT affiche, sa volonté de mettre sur le marché des variétés plus tolérantes à la cercosporiose. « Nous allons accentuer nos efforts de sélection sur cette maladie, mais également maintenir notre recherche sur la forte pression rhizomanie et la tolérance aux nématodes, afin de développer des variétés tout terrain », résume Victor Dobrogoszcz, chef des ventes de betteraves sucrières chez RAGT. La variété ST Rotterdam, déjà commercialisée en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, sera la variété phare du groupe pour la tolérance aux nématodes. Concernant l’offre rhizomanie, ST Budapest sera la variété à suivre, compte tenu de ses excellents résultats cette année et de sa bonne tolérance aux maladies foliaires.
SBR : faire preuve d’anticipation
Les semenciers se montrent également très attentifs, et de manière croissante, à l’enjeu du SBR (syndrome de basse richesse). Si cette maladie concerne pour l’heure principalement l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse, où de très larges surfaces sont touchées, les semenciers intervenant dans l’Hexagone veulent anticiper au maximum une éventuelle contamination plus large des parcelles françaises. Chez Florimond Desprez, le sujet fait partie des axes de recherche de sélection variétale. SESVanderHave propose la variété Fitis, déjà beaucoup vendue de l’autre côté du Rhin, et dédie une partie de ces efforts de recherche à ce sujet. « Le risque de propagation de ces maladies existe en France et le temps de la sélection est très long », justifie Paul Edeline, chef de produit betterave sucrière du groupe. Dans les rangs de KWS, une variété (Marabella KWS) est en première année d’essai ITB. « Cette variété est tolérantes aux nématodes, à la FPR et à la cercosporiose. Elle se positionne parmi les meilleures solutions contre le SBR dans les essais », souligne Patrick Mariotte, directeur général de KWS France. Les réponses à apporter doivent cependant être encore largement consolidées, comme en témoigne Betaseed, qui dispose de deux plateformes de recherche dédiées au SBR en Allemagne. « Des variétés intéressantes commencent à apparaître, mais il y a encore du chemin à faire », déclare Benoît Rose, le directeur de Betaseed France.
Maintien des investissements sur la jaunisse
Le commentaire s’applique aussi malheureusement à la jaunisse, dont les trois virus continuent de peser lourd sur les exploitations betteravières. La maladie a été particulièrement virulente en 2025, en particulier dans certaines régions comme la Champagne ou la Seine-et-Marne, où les rendements accusent le coup. Or, à ce jour, aucune variété ne peut être qualifiée de « tolérante », ou s’approcher d’une telle prétention. De plus, contrairement à d’autres maladies, comme la cercosporiose ou le SBR notamment, la jaunisse est une problématique largement centrée sur l’Hexagone. En effet, d’autres pays disposent de produits interdits en France, comme l’acétamipride en application foliaire ou la flupyradifurone en enrobage de semences. « Sur le plan génétique, des progrès significatifs ont été réalisés depuis cinq ans, mais ce n’est pas suffisant, admet Bruno Dequiedt, le directeur général de SESVanderHave. Nous continuons d’investir énormément car le marché français est essentiel pour nous. » Les conclusions sont les mêmes dans les rangs de KWS, où la multitude de sujets à gérer de front est aussi soulignée. « Le pas de temps s’est décalé. La génétique ne permet pas de répondre à la jaunisse aujourd’hui, ce sera peut-être le cas après-demain… », explique Romain Volpoet, responsable du marché de la betterave à sucre.
Les planteurs français n’ont par ailleurs pas les mêmes produits à leur disposition, notamment le traitement de semences Butéo (flupyradifurone). Censée protéger la culture pendant ses 45 premiers jours, cette solution est autorisée dans de nombreux pays européens et vient d’être homologuée en Belgique. Forts de ce constat, les semenciers insistent sur l’importance d’allier l’agronomie au choix des semences. « Le meilleur compromis reste de choisir la variété la plus performante selon sa situation agronomique (rhizomanie, nématodes, etc) et de la conduire au mieux selon les recommandations de l’ITB et des SAS », estime Pierre Carré, directeur marketing chez Florimond Desprez. « Les essais montrent que les variétés les plus productives en l’absence de jaunisse sont aussi celles qui s’en sortent le mieux en cas d’infection, mais sans offrir de solution miracle », soutient Benoît Rose, le directeur de Betaseed France.
Dans les rangs de RAGT, l’objectif est plutôt de diversifier le catalogue de Deleplanque. Déjà très focalisé sur l’enjeu de la jaunisse, notamment avec sa gamme Vitaly, le groupe souhaite intégrer à la gamme toutes les tolérances nécessaires pour satisfaire les exigences du marché. « Notre recherche doit développer des variétés mieux armées face à l’ensemble des contraintes climatiques et agronomiques, afin d’assurer une stabilité pluriannuelle nécessaire aux agriculteurs », appuie Sylvain Guedou, directeur des ventes France chez RAGT Semences. Le groupe a ainsi ouvert une nouvelle plateforme à Willerval (62), dédiée à la sélection à des fins de productivité. Dans certaines micro-parcelles, les 150 t/ha auraient été dépassés.
Une productivité rassurante
Les très bons rendements obtenus cette année sont symptomatiques d’une tendance plus générale, qui envoie un signal positif. En effet, si la génétique bute encore sur la jaunisse, et alors que les dernières campagnes ont pu faire douter de la performance de la génétique betteravière, les résultats de cette année montrent que les progrès n’ont pas cessé. Ainsi, quand les chocs climatiques ou les attaques de ravageurs sont modérés, la betterave affiche des rendements records. « La performance exceptionnelle de cette année constitue un message très positif pour la filière, juge Benoît Rose, le directeur de Betaseed France. Des fermes entières, comme dans le Nord-Pas-de-Calais, atteignent des moyennes de plus de 100 tonnes/ha. » Les échos sont les mêmes du côté de Bruno Dequiedt, le directeur général de SESVanderHave, qui se félicite : « l’année 2025 vient démontrer que la technique et la génétique continuent de progresser. Beaucoup d’agriculteurs vont atteindre des rendements rarement ou jamais atteints. Certaines usines attendent d’ailleurs un rendement moyen de plus de 95 t/ha. Des rendements très élevés sont donc possibles, même si la culture de la betterave est devenue techniquement plus exigeante.





