L’évaluation des leviers est réalisée depuis 2021 en conditions de production grâce à un réseau de fermes pilotes d’expérimentation qui couvre l’ensemble des régions betteravières. En collaboration avec les agriculteurs, les Services agronomiques de sucreries, la FNAMS, l’ITB et des lycées agricoles testent différents itinéraires de protection pour répondre aux enjeux de la jaunisse. Un plan d’action en région Centre-Val de Loire vient compléter ces expérimentations pour accompagner les agriculteurs en grande difficulté dans ce secteur particulièrement touché par la jaunisse.

Itinéraires de protection

Près de 50 parcelles sont suivies chaque année pour évaluer l’efficacité de plusieurs leviers. Les plantes compagnes et les allomones (odeurs) sont majoritairement testées, avec environ 15 essais par an. D’autres produits de biocontrôle sont évalués : une phéromone attractive pour les auxiliaires, des lâchers de chrysopes prédatrices de pucerons, un champignon entomopathogène qui parasite les pucerons, ainsi qu’une huile de paraffine. Ces leviers sont intégrés dans des itinéraires de protection incluant les aphicides usuels (flonicamide et spirotétramate) pour répondre à deux objectifs :

• Renforcer la protection aphicide dans les situations les plus à risque,

• Réduire le nombre de traitements aphicides pour évaluer si la performance de ces leviers permet de l’IFT insecticide.

Les essais sont répartis dans les régions betteravières en fonction des objectifs de la zone, déterminés par le risque jaunisse encouru. Ainsi, le renforcement de la protection aphicide est principalement travaillé en région Centre-Val de Loire et en Normandie, tandis que la réduction du nombre de traitements est privilégiée dans les autres régions. L’année 2025 a mis en évidence la difficulté à identifier les zones supposées fortement touchées par la jaunisse, la Champagne ayant été nettement plus impactée que les années précédentes.

Le positionnement des leviers dans l’itinéraire de protection dépend de leur mode d’action et des contraintes associées. Par exemple, les plantes compagnes et les allomones doivent être positionnées en début de cycle, car elles ont une action répulsive visant à limiter la colonisation des pucerons. L’huile de paraffine a une action aphicide : son application peut donc être réalisée au seuil d’intervention (fixé à 1 puceron pour 10 betteraves). Elle permettrait également de réduire la transmission virale. Un positionnement à l’atteinte du premier seuil limiterait donc une transmission précoce, plus dommageable pour le rendement. Enfin, les organismes auxiliaires sont actifs plus tard en saison, en raison de conditions climatiques plus douces. Un positionnement tardif permet ainsi de maximiser leur efficacité.

Efficacité des leviers

L’impact sur les populations de pucerons constitue le point de départ pour déterminer si un levier est pertinent dans la lutte contre la jaunisse. L’évaluation est réalisée sur l’ensemble des essais conduits de 2021 à 2025, des années variables au niveau des conditions climatiques, des vols de pucerons et de la pression en jaunisse. Des comptages de pucerons ont été effectués du stade 2 feuilles au stade 8–10 feuilles des betteraves par les partenaires du projet. Les différents leviers sont comparés à un témoin non traité et à la référence chimique, 14 jours après l’atteinte du premier seuil d’intervention et avant le second seuil, ce qui correspond à une période relativement courte et précoce en saison.

La référence chimique (flonicamide), avec une efficacité d’environ 60 %, est le levier le plus efficace, bien que le produit soit en fin de rémanence 14 jours après l’application. Des efficacités d’environ 80 % ont été observées dans d’autres essais à 7 jours après l’application. Les plantes compagnes, l’avoine rude et l’orge de printemps permettent de réduire de 50 % les populations de pucerons sur betterave, un résultat intéressant mais inférieur à celui de la référence chimique. Aucune différence notable n’a été observée entre les deux espèces vis-à-vis des pucerons. L’orge semble plus sensible au programme de désherbage et à l’éthofumésate en particulier. Des légumineuses (féverole et pois) ont été testées de 2021 à 2023 pour proposer des alternatives dans les parcelles infestées de ray-grass. Néanmoins, ces espèces sont trop sensibles au programme de désherbage des betteraves, rendant la réussite de leur implantation incertaine. Les plantes compagnes doivent être détruites au stade 4 feuilles des betteraves pour éviter de perdre du rendement dû à la concurrence avec la culture.

Les œufs et les larves affichent des résultats variables selon les essais : une réduction réelle a été observée au champ en 2021 et 2022, mais pas les années suivantes. La principale difficulté réside dans le positionnement des lâchers : ils ne doivent pas être effectués trop tôt, afin d’éviter des conditions climatiques trop fraîches et trop proches des autres interventions culturales, ni trop tard lorsque les betteraves sont à un stade avancé (par exemple 8 à 10 feuilles), car les larves auraient alors une surface foliaire trop importante à prospecter. La véritable réussite du PNRI concernant ce levier réside dans l’évolution de la mécanisation. Les premières années, les larves étaient épandues manuellement sur des surfaces relativement réduites. Aujourd’hui, un épandeur avec une soufflerie, adapté sur une bineuse ou autoporté, permet d’appliquer facilement les larves sur le rang de betteraves et sur plusieurs hectares.

Les allomones n’affichent une tendance intéressante que si elles sont appliquées en préventif tous les 7 jours. Une seule application réalisée au maximum deux semaines avant la colonisation des pucerons ne semble pas avoir d’effet. L’année prochaine, il sera intéressant de réaliser deux applications à dose réduite pour voir si cela permet d’avoir des résultats similaires tout en restant à coût initial identique.

Le champignon entomopathogène Lecanicillium muscarium, non homologué en betterave, ne présente pas d’efficacité probante sur les populations de pucerons par rapport au témoin non traité. Pourtant, un effet aphicide a été observé en conditions contrôlées sous serre, avec une température et une humidité constantes. Il est probable que ces conditions optimales diffèrent trop de celles rencontrées au champ pour permettre un bon développement du champignon.

Et des combinaisons de leviers

Une combinaison de leviers correspond à l’association de deux leviers agissant sur une même période. Il peut s’agir, par exemple, d’un aphicide chimique associé à un produit de biocontrôle, ou encore d’une plante compagne associée à un lâcher de chrysopes. Ces combinaisons ont été définies principalement en fonction de leur coût : celui-ci ne doit pas être démesuré afin de garantir une mise en œuvre opérationnelle à court ou moyen terme. Par conséquent, elles reposent surtout sur l’association d’un aphicide chimique avec un levier non chimique, dans l’objectif d’en renforcer l’efficacité. Contrairement à l’analyse précédente, les différentes combinaisons sont ici comparées non pas à un témoin non traité, mais à la référence chimique (flonicamide), évaluée 14 jours après l’atteinte du premier seuil d’intervention et avant le second.

Les résultats montrent que les plantes compagnes, l’avoine rude ou l’orge de printemps, permettent de compléter l’action de la référence chimique en réduisant encore davantage les populations de pucerons, d’environ 40 %. En cumulant ces deux leviers, l’efficacité totale peut ainsi être estimée à 90 % par rapport au témoin non traité, contre 60 % avec la seule référence chimique, par rapport au témoin non traité. Cela peut faire la différence les années où les pucerons sont très virulifères dès les premiers vols ou très nombreux. La combinaison d’une plante compagne avec un lâcher de chrysopes atteint le niveau d’efficacité de la référence chimique, principalement grâce à l’effet de la plante compagne. Les combinaisons des allomones et des phéromones avec la référence chimique ont également été évaluées. Une tendance positive est observée avec les allomones et sera à confirmer l’année prochaine.

Résultats sur jaunisse

L’évaluation des itinéraires de protection, c’est-à-dire d’une succession d’interventions dans le temps, s’appuie sur l’observation des symptômes de jaunisse. L’itinéraire aphicide de l’agriculteur sert de référence pour déterminer si l’ajout d’un levier permet un meilleur contrôle de la jaunisse. Au cours des cinq dernières années, l’itinéraire classique de protection basé sur les aphicides chimiques s’est révélé suffisant pour contenir les symptômes dans la grande majorité des essais, puisque peu d’entre eux présentent des niveaux de jaunisse supérieurs à 10 %. L’impact de la réduction du nombre de traitements aphicides est également difficile à évaluer. Ce point n’a été réellement étudié que ces deux dernières années, deux années très différentes en termes de période d’infestation des pucerons. Cette variabilité ne permet pas de disposer de conditions suffisamment homogènes, par type d’itinéraire technique, pour pouvoir conclure de manière fiable.

Et combien ça coûte ?

Pour que les leviers soient opérationnels et conseillés, ils doivent démontrer une efficacité sur les pucerons et la jaunisse, être techniquement abordables et à un coût raisonnable. Actuellement, peu de leviers cochent toutes les cases. Les plantes compagnes constituent le levier le plus abouti, et le prix est estimé à 30 euros/ha, et il peut atteindre 90 euros/ha si un antigraminées doit être ajouté (coût du produit et du passage). Le coût des autres solutions est actuellement compris entre 50 et 150 euros/ha, ce qui est encore élevé. Néanmoins, les fournisseurs affirment que les prix baisseront avec l’augmentation de la demande.

Plan d’action

La cohabitation entre les cultures de betteraves sucrières et de betteraves porte-graine en région Centre-Val de Loire présente un risque accru de propagation de la jaunisse virale. Cela s’explique par la présence continue de betteraves tout au long de l’année, empêchant toute interruption du cycle épidémique. Pour faire face à cette situation, un plan d’action a été lancé en 2024, visant à limiter la contamination par les pucerons entre les deux types de cultures. En 2025, 57 parcelles de betteraves sucrières ont été suivies dans le cadre de ce plan, financé grâce au soutien du PNRI-C. Grâce à l’implication de Cristal Union et de Tereos dans l’accompagnement des agriculteurs, tous les leviers testés dans les fermes expérimentales ont été appliqués dans les parcelles des agriculteurs volontaires, en combinaison avec la protection aphicide classique. Malgré ces efforts sans précédent, les symptômes de jaunisse demeurent fortement présents dans cette zone : sur les parcelles observées, environ la moitié présente une part de la surface impactée par la jaunisse supérieure à 10 %, et quelques parcelles sont quasiment entièrement touchées même avec des combinaisons de leviers. Une efficacité insatisfaisante des solutions complémentaires déployées et leur mobilisation probablement trop précoce par rapport aux pics de vol des populations sont des hypothèses pour expliquer ces échecs en 2025. Le bilan était plus positif en 2024.

Témoignage de Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique

« Les filières restent mobilisées et déploient une démarche prophylactique renforcée. Les interprofessions (AIBS, SEMAE), les instituts techniques (ITB, FNAMS), les semenciers, sucriers et agriculteurs mettent en place une gestion territorialisée de la jaunisse en Beauce pour faire baisser la pression virale. Dans la mesure du possible, les parcelles de betteraves sucrières ne sont pas semées à proximité immédiate des parcelles de betteraves porte-graine. On regarde à la fois la proximité des cultures entre elles, mais également les résultats de diagnostics viraux réalisés sur chaque parcelle de porte-graines. Un aphicide est appliqué sur ces dernières dès que les premiers vols de pucerons sont signalés sur betteraves sucrières afin de limiter les contaminations croisées. A l’automne, toutes les parcelles à moins de 5 km d’une betterave sucrière reçoivent des solutions de protection supplémentaires à la protection aphicide usuelle, allomones ou plantes compagnes. La même démarche est appliquée au printemps. Ces actions seront renouvelées en 2026 avec des nouvelles solutions qui seront testées. »