Alexis Hache, président de l’ITB : « Une combinaison de leviers, c’est d’abord une combinaison de coûts »

Alexis Hache rappelle que la jaunisse n’est pas un simple accident agronomique : c’est une maladie virale fulgurante capable de ruiner un potentiel en quelques semaines. Il insiste sur le fait « qu’il suffit de 0,5 % de pucerons contaminés pour que toute une parcelle bascule ». « Cette fragilité structurelle serait déjà difficile à gérer en temps normal ; elle devient étouffante dans un pays où la politique s’est substituée à la science », ajoute le président de l’ITB. Il déplore également le fait que « la France ait interdit des molécules que d’autres agences européennes n’ont jamais jugées problématiques, créant une situation où les agriculteurs doivent se contenter de dérogations annuelles de 120 jours, chaque fois remises en question ». Cette précarité réglementaire désorganise la gestion des cultures, d’autant plus que le seul produit encore autorisé montre les premiers signes de résistance. L’ITB multiplie les pistes, mais son président prévient : plus les moyens diminuent, plus la culture se complexifie, au risque de devenir inaccessible pour certains planteurs. « On nous parle toujours de combinaison de leviers, mais c’est d’abord une combinaison de coûts ».

Laurent Duplomb, sénateur de la Haute-Loire : « Je vais redéposer un texte sur l’acétamipride début 2026 »

Laurent Duplomb décrit une filière enfermée par ce qu’il appelle la surtransposition des règles européennes, « un excès de zèle réglementaire » qui crée à ses yeux une concurrence faussée avec les voisins. Pour le sénateur, l’interdiction de certaines molécules, notamment l’acétamipride, illustre une forme d’hypocrisie : « la France interdit certaines molécules sous prétexte de sécurité, mais ses voisins européens les autorisent, parfois avec des dérogations temporaires, ce qui crée une concurrence déloyale ». Pour Laurent Duplomb, la logique doit être inversée : « commençons par trouver les méthodes alternatives, aidons-les financièrement. Prouvons qu’elles sont économiquement viables pour l’agriculture et, après, on interdit ». Malgré la censure de l’article 2 de sa proposition de loi par le Conseil constitutionnel, il promet de relancer le débat : « je vais redéposer un texte pour réintroduire l’acétamipride début 2026, avec une approche plus prudente pour éviter tout rejet. » Laurent Duplomb appelle à l’engagement collectif : « il faut être fiers de notre modèle » qu’il considère comme « le plus environnementaliste du monde »

Paul Edeline, chef de produit betterave, SESVanderHave : « La sélection continue à porter ses fruits »

Pour Paul Edeline, la génétique n’est plus seulement une voie de progrès, mais « un rempart indispensable à mesure que les solutions chimiques disparaissent ». Le secteur semencier, dit-il, avance dans « un contexte frustrant », mais les records de rendement observés en 2025 prouvent que la sélection continue à porter ses fruits. « Rhizomanie, nématodes, cercosporiose : autant de maladies pour lesquelles la génétique a déjà changé la donne », explique Paul Edeline. Il rappelle néanmoins qu’aucune variété tolérante ne suffira seule à contrer la jaunisse. Les nouvelles techniques génétiques, et en particulier les NGT, représentent à ses yeux un outil supplémentaire, pas une solution miracle. Il maintient que les NGT « ouvrent la porte à des variétés multitolérantes capables de sécuriser le potentiel des parcelles, mais leur efficacité dépendra d’un cadre réglementaire clair et d’un maintien des capacités de recherche en Europe ».

Cyrille Milard, président de la Commission environnement de la CGB : « On a perdu 30 molécules pour la betterave depuis 2017, c’est faramineux »

Pour Cyrille Milard, l’inquiétude des planteurs n’a rien d’un ressenti : elle repose sur des chiffres implacables. « Depuis 2017, la filière a vu disparaître trente molécules, un effondrement qui a renchéri les coûts de production de 32 % en 5 ans » déplore-t-il. « Le tout intervient dans un contexte climatique instable où sécheresses, excès d’eau et épisodes de chaleur s’enchaînent, laissant les exploitations plus vulnérables que jamais », ajoute-t-il. Son expérience de 2020 reste un traumatisme : frappé de plein fouet par la jaunisse, il n’a récolté que 27 tonnes par hectare. Les indemnisations, péniblement obtenues, n’ont compensé qu’une fraction des pertes, alors que l’impact global dépassait largement les capacités financières de l’amont. Pour lui, la filière a besoin de solutions pragmatiques, de cohérence européenne et d’une action politique capable d’anticiper au lieu de réparer. « L’enjeu dépasse la betterave : c’est toute la capacité du pays à produire, investir et accéder à l’eau qui se joue », conclut Cyrille Milard

Isabelle Litrico, directrice scientifique Agriculture de l’Inrae : « Les alternatives aux néonicotinoïdes ne sont pas encore pleinement opérationnelles »

Isabelle Litrico a rappelé que, malgré les efforts du PNRI, lancé en 2021 et prolongé jusqu’en 2026, les alternatives aux néonicotinoïdes ne sont pas encore pleinement opérationnelles. Selon elle, ce programme a permis de franchir des étapes importantes dans la compréhension de la jaunisse, notamment sur les mécanismes de propagation du virus et les leviers de prévention. « Le contrôle des réservoirs de virus est extrêmement important pour prévenir et gérer la maladie », rappelle-t-elle, en citant les repousses de betteraves et les porte-graines comme points de vigilance majeurs. Pour autant, la directrice scientifique de l’Inrae assume un message de réalisme : « aucun levier testé à ce jour, qu’il s’agisse du biocontrôle, des plantes compagnes ou de la génétique, ne peut, pris isolément, sécuriser les rendements. » Mais aussi qu’il y a « une vraie nécessité de combiner les alternatives, de combiner les leviers », insiste-t-elle, tout en soulignant que cette approche accroît la complexité technique et économique pour les exploitations. Cependant, un levier efficace en expérimentation n’est pas automatiquement applicable à grande échelle, prévient-elle.