Les jeunes agriculteurs qui acquièrent des terres par le biais de contrats non conventionnels sont éligibles aux subventions de l’UE. Mais en pratique, les contraintes administratives et l’appât du gain des propriétaires empêchent les nouveaux entrants à en bénéficier. Un article de notre partenaire européen Euractiv.

Pour les agriculteurs débutants, l’accès à la terre dans des conditions abordables représente un obstacle majeur. La plupart des terres agricoles européennes sont aux mains d’agriculteurs grisonnants : plus de la moitié des terres agricoles sont gérées par des Européens de plus de 55 ans, et près d’un tiers de plus de 65 ans. Seulement 6 % de la superficie totale des terres sont exploités par des agriculteurs de moins de 35 ans.

Un transfert générationnel est donc nécessaire pour permettre aux nouveaux agriculteurs d’accéder à la profession, et assurer ainsi l’avenir du secteur agricole européen. Le Parlement européen a conscience du problème. « Pour parvenir à une agriculture durable, les jeunes agriculteurs doivent pouvoir investir et acquérir des terres agricoles », soulignait le Parlement européen dans un rapport d’initiative sur la réforme de la PAC. Toutefois, au lieu d’être un catalyseur pour les nouveaux arrivants dans l’agriculture, les subventions directes, combinées à des mesures de soutien inadéquates, ont souvent pour effet d’entraver l’entrée en activité des agriculteurs potentiels. Autrement dit, à l’heure actuelle, un agriculteur sur trois seulement bénéficie des subventions publiques.

Contrats précaires et libres

De plus en plus d’agriculteurs ont recours à des méthodes peu conventionnelles pour arriver obtenir des terres. Ainsi, nombre d’entre eux concluent un accord avec un propriétaire foncier ou un agriculteur établi qui détient des terres et souhaite les utiliser afin de créer une nouvelle exploitation agricole. Cet accord peut prendre des formes commerciales et juridiques très différentes. Dans certains cas, le nouvel agriculteur et le propriétaire foncier ou l’agriculteur établi seront des partenaires commerciaux ; dans d’autres cas, l’accord sera similaire à celui d’une location classique de terres.

Un contrat couramment utilisé est un celui de libre accès appelé « contrat de commodat », également connu sous le nom de « contrat de prêt à usage ». Il est qualifié de « contrat gratuit précaire » dans le rapport 2016-7 de la Commission européenne sur le soutien à l’accès à l’agriculture. Le rapport indique que ce type de contrat permet théoriquement de mettre en place un partenariat sans conclure de contrat de bail conventionnel. La plupart des propriétaires fonciers préfèrent ce type de bail car ils sont réticents à louer leurs terres au sens traditionnel du terme. Cependant, ceux-ci peuvent placer les agriculteurs dans une situation précaire, sans garantie de pouvoir cultiver la terre plusieurs années durant et sans garantie sur le prix de location.

La Commission s’engage à aider les jeunes agriculteurs

L’une des priorités de la PAC post 2020 est d’attirer les jeunes dans ce secteur et de les aider à créer des exploitations viables. Selon Bruxelles, pour autant que les jeunes agriculteurs remplissent les conditions d’éligibilité de base, ils ont droit à des subventions de la PAC si le contrat signé est un « commodat » ou s’il s’en rapproche. La Commission précise par ailleurs que les subventions iraient à l’exploitant des terres, et non au propriétaire foncier.

Aux yeux de Fiona Lally, chargée de communication au Conseil européen des Jeunes Agriculteurs (CEJA), un certain nombre d’initiatives ont été prises par les États membres pour faciliter le transfert des terres entre les agriculteurs les plus âgés et les plus jeunes. Des systèmes de partenariat ont été mis en place, par exemple en Irlande avec le Land Mobility Service et en Italie avec « società di affiancamento ». Elle a ajouté que si un contrat ou un accord écrit était mis en place entre les participants à de telles initiatives, l’accès d’un agriculteur aux subventions européennes ne serait pas compromis. Il semble toutefois que la pratique fasse parfois défaut à la théorie.

Selon David Dupuis, membre de Terre-en-Vue, un mouvement qui travaille pour faciliter l’accès à la terre en Belgique, en raison de la moyenne relativement faible du droit au paiement de base par rapport à la charge administrative que représentent les demandes de subventions, de nombreux jeunes maraîchers choisissent de renoncer aux subventions. « Le montant moyen octroyé aux jeunes agriculteurs en Wallonie en 2019 était de 114,15 euros par hectare et par an. Si l’on ajoute à cela les paiements jeunes et verts, on obtient un subside moyen de 400 euros par hectare et par an assure-t-il.

Cela s’explique en grande partie par le fait que les subventions et les services de vulgarisation agricole sont encore principalement adaptés aux projets agricoles « traditionnels », mais les agriculteurs en herbe innovent et leurs projets comprennent souvent des activités peu communes sur une petite superficie. Pour M. Dupuis, dans de nombreux cas, les nouveaux maraîchers travaillent sur les terres d’autres agriculteurs qui conservent leurs paiements de base. C’est particulièrement le cas pour les agriculteurs plus âgés : ils offrent des terres aux jeunes maraîchers et gardent les primes pour assurer leur retraite. M. Dupuis a également précisé que « les propriétaires fonciers demandaient souvent des prix de location bien supérieurs aux niveaux légaux fixés par la loi sur les exploitations agricoles ».

Une opinion partagée par Zoé Gallez, qui travaille également pour Terre-en-Vue. D’après elle, même si les agriculteurs peuvent techniquement bénéficier des aides de la PAC — qu’ils soient locataires ou propriétaires —, dans la pratique, si un agriculteur loue un terrain à un jeune sur une base précaire ou temporaire, il aura souvent tendance à garder accès à cette aide, car les contraintes administratives l’emportent souvent sur l’avantage financier.

Natasha Foote (Euractiv.com) – traduit par Nathanaël Hermann